Publié par : Doudou Sow | 8 février 2017

Discrimination raciale à l’embauche : cinq mérites de l’étude de Paul Eid, chercheur pour la Commission des droits de la personne

hm9b-he3La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), dans une étude parue en mai 2012, a révélé une discrimination systémique à l’égard de certaines minorités ethnoculturelles. L’auteur de l’étude Paul Eid, qui a utilisé la formule recommandée par le Bureau international du travail (BIT), révèle que les minorités ou communautés racisées (terme sociologique) ou minorités visibles (terme juridique) subissent une discrimination environ une fois sur trois de la part des employeurs québécois.

Les Maghrébins, les Africains, les Asiatiques sont plus touchés par le chômage, comme le démontrent plusieurs études québécoises et canadiennes, alors qu’ils sont titulaires d’un diplôme universitaire (plus de 14 années de scolarité). On a même tendance à penser que plus ils sont scolarisés, moins de chances ont les immigrants venant des régions de l’Asie, de l’Afrique, du Maghreb, d’intégrer le marché du travail. Pourtant, la plupart d’entre eux, bien que devant comprendre les us et coutumes québécois, possèdent des compétences ou exigences reliées aux besoins du marché du travail. Peu d’études font mention de cas de discrimination comme étant un obstacle à l’intégration des gens venus d’ailleurs avec des noms exotiques. Les acteurs évitent souvent de prononcer les mots racisme ou discrimination puisqu’ils évoquent un concept trop accablant et moins vendeur quand il est question d’intégration. Il faut quand même souligner les mérites de cette étude qui a touché du doigt le problème de discrimination systémique à l’égard des communautés culturelles.

  • La discrimination systémique : un ensemble d’obstacles structurels interreliés qui nécessite un changement du système, comme la problématique des médecins étrangers, et, de manière générale, la question de la non-reconnaissance des acquis et des compétences des personnes immigrantes.

1-5-2 Le décryptage de l’étude de Paul Eid, chercheur pour la Commission des droits de la personne

Le communiqué de la CDPDJ, intitulé « La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse mesure la discrimination à l’embauche : mieux vaut se nommer Bélanger que Traoré » en date du 29 mai 2012, indique :

« Quand on est à la recherche d’un emploi dans la région de Montréal, il vaut mieux s’appeler Bélanger ou Morin que Traoré, Ben Saïd ou Salazar. À caractéristiques et à compétences égales, un candidat au patronyme québécois a au moins 60 % plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne qui a un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine ».

Dans ce même communiqué, l’on remarque que :

« L’étude de la Commission a aussi démontré que les candidats aux noms à consonance africaine ont été nettement plus désavantagés que les candidats ayant des noms arabes ou latino-américains. Ainsi, le candidat au nom à consonance africaine pour un emploi peu ou non qualifié a été évalué plus négativement, avec un taux net de discrimination de 42,1 %, contre 35,1 % pour le candidat arabe, suivi plus loin derrière, par le candidat latino-américain avec 28,3 %. En ce qui concerne les emplois qualifiés, le taux de discrimination chez le candidat au nom à consonance africaine a été de 38,3 %, contre 33,3 %, pour les candidats arabes et 30,6 % pour les candidats latino-américains. »

Cette étude quantitative qui a duré six mois a le mérite de soulever plusieurs problèmes, mais aussi de faire apparaître quelques surprises. Les candidats fictifs présélectionnés pour l’étude avaient toutes les compétences généralement requises pour intégrer le marché du travail québécois (bilinguisme, formation acquise au Québec, etc.). Nous lui attribuons cinq mérites clairement identifiés dans le communiqué.

« Le « testing » a notamment révélé que le taux de discrimination varie très peu selon que l’organisation testée soit une entreprise privée (37 %) ou un organisme sans but lucratif (OSBL) (35 %) », mentionne le communiqué.

Le mérite aussi de l’enquête se situe au niveau de l’échantillonnage représentatif des offres d’emploi, même si l’auteur reconnait lui-même que l’échantillonnage sur les employeurs publics est très faible.

« L’étude Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées: résultats d’un «testing» mené dans le Grand Montréal vient de documenter un phénomène qu’on [ne] veut pas voir ou qu’on minimise en parlant de cas isolés [la CDPJ a répondu à plus de 581 offres d’emploi [à près de 600 offres d’emploi] d’organismes publics ou à but non lucratif ou encore d’entreprises privées pour des postes dans trois domaines qualifiés ou deux domaines peu ou pas qualifiés. Deux CV et lettres de motivation ont été envoyés pour chaque poste : l’un porte un nom franco-québécois, l’autre, un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine. Dans les deux cas, les candidats ont étudié et travaillé au Québec.][1]. « Par contre, sur les 18 employeurs publics qui ont démontré un intérêt à l’endroit d’au moins un des candidats fictifs, cinq ont favorisé le candidat minoritaire, cinq le candidat majoritaire, alors que les huit autres ont convoqué les deux candidats en entretien, ce qui donne un taux net de discrimination de 0 %. Il est possible qu’un tel résultat, bien que reposant sur un mince échantillon, est [soit] dû en partie à l’obligation légale qu’ont les employeurs publics d’appliquer des programmes d’accès à l’égalité, qui ont une incidence sur le recrutement », poursuit le communiqué.

Le deuxième réside dans les emplois non-qualifiés :

« […] la Commission a voulu vérifier l’hypothèse voulant que la discrimination risquait d’être plus marquée dans les secteurs d’emplois qualifiés qui commandent de bons salaires et de bonnes conditions par comparaison avec des secteurs d’emploi peu qualifiés, mal rémunérés et offrant des conditions d’emploi peu avantageuses. Cette hypothèse a été réfutée : les résultats étant comparables pour les deux catégories d’emploi ».

Le troisième se situe par rapport au taux élevé de discrimination dans le domaine administratif alors que, dans les études ou dans la perception des citoyens, il est souvent démontré, un taux plus élevé quand il s’agit du contact relié au service à la clientèle :

« Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, le taux de discrimination était plus bas pour les emplois exigeant des contacts fréquents avec le grand public (marketing, communications et service à la clientèle) que pour les emplois requérant des interactions quotidiennes avec des collègues dans le cadre d’un service dispensé à l’interne (secrétariat et ressources humaines). »

Le dernier mérite de l’étude du professeur de sociologie à l’UQAM reste la mise en exergue des difficultés de la deuxième génération sur la question du salaire en dépit du fait que ces jeunes Québécois aient fait les mêmes études que les natifs : les jeunes issus de l’immigration sont également victimes de ces tragiques situations, ce qui dénote une précarisation de leur situation.

Sur la question salariale, la journaliste Marie-Eve Shaffer, qui s’appuyait sur l’étude dirigée par James Torczyner, professeur de l’École de service social de l’Université McGill, faisait un constat alarmant sur les revenus des Noirs montréalais :

« […] la communauté noire de Montréal gagne en moyenne 22 000 $ par année, contre 38 000 $ pour le reste de la population. Et les diplômes ne changent rien à cet écart salarial selon l’étude. La rémunération des Noirs détenant un diplôme universitaire de second cycle atteint 37 000 $, alors que les gens qui ne sont pas Noirs qui ont la même formation obtiennent des gages s’élevant en moyenne à 65 000 $[2]. »

Cette étude démographique qui « a épluché les résultats du dernier recensement de 2006 » prouve que « le chômage, la pauvreté et la discrimination touchent davantage les Noirs que le reste de la population[3] ». La question de l’écart salarial des revenus entre les natifs et les minorités racisées demeure également un problème. « Des revenus inférieurs pour les Noirs de Montréal », titrait Stéphanie Saucier, 24h Montréal, (19 mars 2010).

Nous lui décernons également le mérite de démontrer l’importance de ne pas ignorer la question du racisme dans les difficultés d’intégration des personnes immigrantes. Nier ou minimiser l’existence de la discrimination dans les politiques d’embauche serait une grave erreur d’analyse. Même si la discrimination n’a pas atteint une proportion alarmante au Québec comparativement aux pays européens, elle constitue une réalité dans l’accès au monde du travail. Un déni total et systématique empêche de comprendre la complexité de l’intégration des personnes immigrantes. Il est cependant certain qu’il n’est pas exclusivement le facteur ou le seul facteur déterminant dans l’embauche des personnes possédant un diplôme de l’enseignement postsecondaire.

Bien avant cette étude quantitative de Paul Eid, la situation de discrimination à l’embauche était traitée dans certains journaux communautaires ou dans des journaux gratuits par des immigrants, eux-mêmes victimes de racisme. En effet, le changement de nom pouvait se révéler parfois efficace pour certains immigrants qui cherchaient à tester la raison de leur refus en ayant en arrière-pensée une discrimination liée à la connotation de leur nom.

L’exemple qui nous vient à l’esprit est celui de Nadir Kouici, un Maghrébin établi à Montréal, qui soumettait sa candidature pour un poste de technicien de laboratoire dans une entreprise établie à Brossard. Il avait changé son nom d’origine par celui de Fabio et avait faxé son CV. Il avait reçu par la suite un message téléphonique le convoquant en entrevue. Ce cas documenté est relaté de manière exhaustive dans le journal gratuit Métro week-end du 10-12 juillet dans la rubrique Courrier des lecteurs. Cette discrimination en entrevue n’est pas la seule. Souvenons-nous également de Kamal Batal[4], pour ne parler que des cas les plus populaires.

Le journal Atlas Montréal, numéro 78, du 3 au 16 avril 2008, titrait à la une : « Un nouveau cas de discrimination en emploi ! Abdallah Boucetta recalé, mais pas sa création « Charles Tremblay »… ». Cette situation se passait dans la région de l’Outaouais, pourtant ouverte à l’immigration, alors que M. Boucetta ou Tremblay, en février 2008, n’ayant pas reçu de réponse favorable pour un poste de préposé aux bénéficiaires dans un hôpital, a créé une boite de courriel avec un nom fictif répondant à Tremblay. Son épouse, qui avait « un nom évident d’ici », avait également appliqué pour le même poste et a reçu une réponse quelques jours après pour une entrevue. Le comble de cette histoire reste que la responsable des ressources humaines a rappelé au domicile du couple sans se rendre compte que le même numéro figurait dans les deux CV. Se sentant discriminé, il a récrit à cette responsable qui lui disait que le processus de sélection n’avait pas encore commencé alors qu’elle venait de convoquer en entrevue madame, son épouse. M. Boucetta, en bon citoyen engagé, a créé sa boite courriel sous le nom fictif de Tremblay, en y omettant toutes ses expériences acquises dans son pays d’origine. Résultat : monsieur Charles Tremblay venait de recevoir une entrevue de ce même hôpital.

Malheureusement, ces cas documentés existent beaucoup et on peut imaginer l’existence de cas ordinaires anonymes. Le débat sur le recrutement sur la base de compétences est pertinent à poser pour la bonne et simple raison qu’on se rend compte que, parfois, en dépit de certaines compétences, certains noms sont écartés.

  • Ce texte est tiré de mon livre « Intégration professionnelle des personnes immigrantes et identité québécoise : une réflexion sociologique » publié en avril 2014 (pp.165-169).

Blogue de Doudou Sow (Intégration professionnelle)

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[1] Anabelle Nicoud, « À Montréal, les employeurs préfèrent les «Bélanger» aux «Traoré», La Presse, 29 mai 2012.

[2] Marie- Eve Shaffer, « Les Noirs toujours victimes de discriminations », Métro Week-end 19-21 mars 2010, p.6.

[3] Ibid.

[4] Candidature acceptée sous le nom d’emprunt de Marc Tremblay par la Coopérative fédérale agricole de Québec.


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