Publié par : Doudou Sow | 4 septembre 2014

La déqualification professionnelle et la précarisation des immigrants travailleurs qualifiés

doudou-sow-integrationLe succès d’une conception québécoise de l’intégration, dans sa version interculturelle, passe par la réussite des politiques d’intégration. L’analyse des politiques publiques centrées sur l’accès au marché du travail illustre une déqualification et son corollaire, la précarité et l’absence de réussite professionnelle de certaines catégories de population. La déqualification professionnelle, ou le déclassement professionnel, n’est rien d’autre que le fait d’occuper un emploi en deçà de ses compétences.

Le fondateur de la sociologie française, Émile Durkheim, dans son livre « De la division du travail social[1] » parle du travail comme facteur d’appartenance à la société. De ce point de vue, l’on comprend aisément la logique des immigrants qui se définissent par une intégration professionnelle dans leur domaine de compétences. Dans des sociétés industrialisées, la question du statut professionnel revêt une importance capitale.

Le taux de chômage atteint parfois plus de 30 % chez certaines communautés culturelles. Il est également reconnu que dans un contexte de récession, de ralentissement économique, d’instabilité économique, de perturbation économique, d’incertitude économique, de redressement économique ou de reprise économique, les immigrants trinquent plus que les natifs de la société. C’est un phénomène mondial. Par contre, même quand l’économie québécoise se portait très bien, les immigrants étaient plus touchés par le chômage. En guise de rappel, en octobre 2007, où le taux de chômage (6,9 %) était à son plus bas depuis 33 ans, celui des personnes immigrantes était très élevé.

La qualité des emplois des immigrants ainsi que la question de la différence salariale entre immigrants et Québécois dits de « souche » sont souvent évoquées pour décrire la précarisation des néo-Québécois.

Les immigrants originaires de l’Afrique subsaharienne qui sont souvent hautement qualifiés et plus scolarisés que la moyenne québécoise sont confrontés à des barrières systémiques (non-reconnaissance des diplômes et des compétences professionnelles par les employeurs et les ordres professionnels québécois, discrimination raciale à l’embauche à l’égard de certaines communautés culturelles, etc.). En effet, ces personnes qui ont été sélectionnées sur la base de critères facilitant en théorie leur intégration rapide en emploi sont parfois frustrées de ne pas retrouver leur dignité humaine.

Si l’on se fie à certaines données et analyses sur la situation des immigrants, l’on peut se questionner sur la précarisation de cette catégorie de personnes, en particulier les minorités visibles, et plus grave encore, d’une partie de ces minorités visibles (Maghrébins, Africains, Haïtiens). Certains membres de la société québécoise ne sont pas conscients des difficultés d’intégration professionnelle des immigrants. Ils répètent souvent que les immigrants doivent suivre le même processus que les étudiants ou les finissants québécois. S’il est vrai que les immigrants ne bénéficieront jamais d’un emploi sur un plateau d’argent, il n’en demeure pas moins qu’ils éprouvent plus de difficultés à s’intégrer sur le marché de l’emploi.

La précarité s’installe parfois avec des emplois qui durent et perdurent pour des immigrants généralement plus instruits que la moyenne canadienne. Au début, les nouveaux arrivants recherchent des « jobines »,  (terme québécois signifiant petits boulots ou boulots alimentaires) pour payer leurs factures et leurs loyers. Cette stratégie de survie leur laisse peu de temps pour se consacrer à leur recherche d’emploi dans leur domaine de compétence. La précarité risque de s’installer quand certains emplois atypiques (contrat à durée déterminée, emploi à temps partiel involontaire, horaires non flexibles, etc.) perdurent. Si l’on peut comprendre que les nouveaux arrivants occupent, dans un premier temps ou pour leur premier travail, des emplois du secteur secondaire (télémarketing, télécentres, sécurité, manufacture, entretien et ménage, secteur du commerce, magasins ou épiceries), il serait difficile de valider la thèse de leur maintien en emploi dans ces boulots atypiques très précaires.

Certains immigrants sont conscients des nombreux obstacles auxquels ils seront confrontés. Mais au fur et à mesure que les barrières se multiplient, ils perdent espoir et confiance dans le système.

Le chômage isole les personnes immigrantes et entraîne un sentiment de vulnérabilité. La personne immigrante se dévalorise au fur et à mesure et n’a plus le goût de chercher un emploi ou de retourner aux études. Elle perd ainsi ses compétences et connaissances.

Le type d’activité professionnelle des immigrants, qui peut aussi justifier les écarts entre les revenus des natifs et des immigrants, permet aussi de mesurer le degré d’intégration économique des immigrants.

La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit porter une attention particulière aux immigrants, notamment les minorités visibles. La présence ou surreprésentation des personnes immigrantes dans les programmes d’assistance sociale donne de sérieuses indications sur les difficultés d’intégration économique des néo-Québécois. Il faut, à ce titre, éviter les conditions précaires dans lesquelles ils peuvent plonger pendant des années d’où un risque d’enfermement et de ghettoïsation.

L’auteur est sociologue-blogueur, conférencier et consultant. Il a publié en avril 2014 deux livres sur la question de l’intégration professionnelle des personnes immigrantes et l’identité québécoise.

[1]     Émile Durkheim, De la division du travail social. 2e éd. 1930, Paris, Presses universitaires de France, 1893.


Réponses

  1. Excellent article M. Sow! De mes 6 années d’expérience en accompagnement en employabilité auprès de diverses clientèles donc la clientèle immigrante, cet article démontre tout à fait les barrières assez opaques à l’accès à l’emploi pour ces personnes. Pourtant, ils ont tellement de compétences et de savoirs qu’ils pourraient mettre à profit… Heureusement, il existe des organismes dans lesquels où peut retrouver des programmes permettant de favoriser l’intégration à l’emploi: entreprises d’insertion, Mentorat Québec Pluriel, Programme Interconnexion, organismes spécialisés. Mon conseil: garder le cap et se créer un to-do list d’objectifs, aller chercher de l’accompagnement et persévérer. Merci de votre article et au plaisir de vous lire à nouveau.

    • Bonjour Michel,

      Je te remercie pour tes commentaires instructifs. Ton intervention prouve également le sens de ce paragraphe qui figure dans mon deuxième livre : « L’intégration difficile des immigrants est aussi un sujet abordé par des citoyennes (et citoyens québécois) qui ont envie de faire avancer le dossier sur la reconnaissance des compétences des travailleurs qualifiés ».

      Merci de favoriser le vivre-ensemble harmonieux.

  2. Sur l’intégration des immigrants travailleurs:
    Au fait j’ais pris connaissance de votre article intitulé  »La déqualification professionnelle et la précarisation des immigrants travailleurs qualifiés ». Votre analyse de cette situation est très pertinente et met en relief les difficultés et les désillusions liées à l’intégration des travailleurs immigrants qualifiés au Québec. C’est un sujet que je discute toujours avec d’autres immigrants et invariablement, on arrive toujours à la conclusion qu’avec nos qualifications, on serait mieux utilisé dans nos pays respectifs, si les conditions socio-politiques étaient favorables. Bref, après quelques années ici au Canada, on déchante très rapidement.

    La déqualification et le travail précaire est effectivement le lot de ceux qui n’arrivent pas à trouver un emploi correspondant à leur compétence. Je pense surtout aux médecins et tous les autres qui appartiennent à des domaines contingentés par les ordres professionnels, qui se retrouvent à faire de la livraison de Pizza, le chauffeur de taxi ou à être préposés aux bénéficiaires.

    Mais, le but de ma contribution, c’est surtout de vous demander dans la mesure du possible, de vous pencher sur le cas de ceux qui , contre vents et marées, arrivent à trouver un emploi dans leur domaine de compétence. Sont-ils pour autant intégrés? Est-ce que le simple fait d’avoir un boulot qui te permet de vivre est synonyme d’intégration? Le lieu du travail n’est pas toujours hospitalier pour les immigrants. Avec tous les diplômes dont ils disposent, souvent des doctorats, les immigrants se retrouvent à faire du travail très en deçà de leur qualification. Est-ce une manière de les démotiver, de leur faire perdre leur estime de soi? En tout cas, il y a une forme de non reconnaissance des qualifications sur le lieu du travail du fait que l’immigrant n’évolue pas dans la hiérarchie professionnelle. On ne lui permet pas d’évoluer au delà du statut avec lequel il a été recruté. Par exemple, prenons le cas des universitaires de la fonction publique: leur statut est d’être professionnel. Très rares sont les immigrants qui dépasseront ce statut durant leur carrière. À l’interne, il y aura des promotions sans concours pour devenir chef d’équipe, chef de service etc…Rarement, l’immigrant va avoir accès à ces promotions. Et les quelques rare fois que l’immigrant aura un de ces titres (chef d’équipe ou chef de service), les québécois qui sont sous ses ordres lui rendent la vie impossible, une manière de ne pas reconnaître son autorité. Par ailleurs, beaucoup d’immigrants font les concours d’accès aux postes de direction de la fonction publique et très souvent ils réussissent. Mais, hélas, ils restent sur les listes d’attentes éternellement, du fait qu’aucun ministère ne les sollicite pour occuper un poste de direction. Et encore là, les quelques rares qui arrivent à occuper un poste de direction, font très souvent l’objet de contestation de la part des québécois qui sont sous leurs ordres et finissent par se retrouver avec le statut de cadre en disponibilité (Ils deviennent comme des chargés de mission, sans personnel sous leurs ordres).

    Bref, je ne sais pas si vous écrivez vos articles et vos livres à partir de recherche documentaire ou si vous faites souvent des entrevues avec vos groupes cibles. En tout cas, je vous invite à vous penchez sur le cas des immigrants travailleurs dans votre prochain ouvrage et à analyser dans quelle mesures ils sont vraiment intégrés de par leur statut de travailleurs. Cela apportera beaucoup d’éclairage à la notion d’intégration des immigrants par le travail. Personnellement, je pourrais faire un témoignage dans ce sens si vous le désirez.

    Racky de Montréal


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