Publié par : Doudou Sow | 8 juillet 2015

L’établissement en région : une question de perception

Crédit Photo: Volet régionalisation RORIQ/TCRI

Crédit Photo: Volet régionalisation RORIQ/TCRI

Les nouveaux arrivants qui débarquent à Montréal développent souvent un sentiment d’appartenance à la métropole renforcé par la présence de leur communauté. Ils font souvent appel à leurs compatriotes quand leurs services institutionnels font défaut ou ne leur donnent pas entière satisfaction. Les nouveaux arrivants sont aidés dans un premier temps par leurs compatriotes pour l’hébergement ou les structures d’accueil des associations ethnoculturelles ou monoethniques. Ceci leur permet d’économiser sur leur maigre budget pour faire face aux multiples dépenses d’installation, mais aussi de développer des réseaux de contacts socioprofessionnels. Ils se sentent en confiance quand ils se font aider lors des premiers mois qui suivent leur arrivée dans leur nouvelle terre d’accueil.

La question qui revenait souvent quand nous recrutions les immigrants basés à Montréal restait celle-ci : pourquoi n’es-tu pas établi en région si tu crois à la régionalisation de l’immigration? Notre réponse était simple et sincère : notre épouse n’était pas favorable à la régionalisation de l’immigration et souhaitait rester à Montréal. Il faut que le couple soit associé au projet de régionalisation de l’immigration.

Pour l’organisme PROMotion – Intégration – Société nouvelle (PROMIS), la régionalisation est un projet de vie. Quant au Collectif des femmes immigrantes (CFIQ), la régionalisation est un choix de vie. Les crédos de ces deux organismes spécialisés dans le recrutement et l’établissement des immigrants en région vont de pair. Ils ont un sens fondamental et s’inscrivent dans les pratiques du terrain.

Par exemple, par le passé, l’ancien coordonnateur du projet régionalisation de PROMIS, Moussa Guéne, nous contait que les partenaires régionaux remuaient ciel et terre pour aider une personne immigrante à trouver un emploi, un logement, une garderie. Mais au dernier moment, le mari décidait de ne plus déménager en région pour la raison suivante : son épouse n’était pas au courant du projet donc n’était pas associée aux démarches de migration secondaire. Résultat des courses : les partenaires régionaux (notamment de l’Estrie) se brûlent des contacts et épuisent toutes leurs énergies sur un dossier qui laisse des traces dans leurs réseaux, mais aussi un dossier non productif puisque eux aussi ont des objectifs quantitatifs, imposés par le Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), à atteindre.

Il est fréquent de voir certains Québécois conseiller aux immigrants de s’établir en région pour éviter le phénomène de ghettoïsation. Tout comme d’autres Québécois vivant à Montréal conseillent aux immigrants de ne pas s’établir en région, puisqu’ils en ont eux-mêmes une mauvaise image qui est de loin injustifiée. La guerre métropole/régions se transporte même dans l’immigration, alors que le principe de l’occupation dynamique du territoire devrait prévaloir pour l’intérêt de tous.

La tâche de vendre les régions devenait plus difficile quand des fonctionnaires québécois déconseillaient à des personnes immigrantes de ne pas partir en région parce que, selon eux, il y a beaucoup de bibittes[1]. On parle souvent des régions avec certains clichés : le climat très froid, les mouches noires, la distance, les maringoins[2]. Le défunt maire et préfet et deuxième vice-président de la Conférence régionale des élus de l’Abitibi-Témiscamingue (CREAT), Ulrick Chérubin, le rappelait d’ailleurs en commission parlementaire dans le cadre de la Consultation générale sur le document intitulé La planification de l’immigration au Québec.

Si un immigrant dit à un autre immigrant de ne pas partir en région, le convaincre du contraire est facile. Mais quand c’est une personne blanche, catholique ou athée, de surcroît un officiel ou un fonctionnaire, qui lui conseille de ne pas se rendre en région, vous imaginez la tâche herculéenne des conseillers en emploi pour déconstruire les clichés sur les régions.

La conception de la qualité de vie, qui est une notion relative, diffère d’une personne à une autre. Des personnalités issues de l’immigration font des efforts énormes pour vendre les régions. Des personnes immigrantes ambassadrices de la régionalisation de l’immigration, comme Mme Eva Lopez, jouent leur partition dans la politique de régionalisation et font des témoignages personnels de leur parcours d’installation en région en commission parlementaire. (Lire à ce sujet notre prochain article : Eva Lopez : une femme résolument engagée pour la régionalisation de l’immigration)

On pourrait également ajouter à la liste des ambassadeurs de la régionalisation issus de l’immigration : Babakar-Pierre Touré, membre fondateur et ancien directeur général du Service d’orientation et d’intégration des immigrants au travail (SOIIT), Mahnaz Fozi, directrice de l’organisme Accueil et intégration B.S.L. (Bas-Saint-Laurent), Darryl Bernabo, directeur du Regroupement interculturel de Drummondville (RID)  et Ana Luisa Iturriaga, directrice de FORUM 2020.

Il est certain que des immigrants qui ne sont pas en emploi dans les régions font une mauvaise publicité à la régionalisation de l’immigration. Les régions, qui ne constituaient pas au départ un premier choix, se voient délaissés par le risque d’un chômage chronique. Les personnes établies en région transmettent l’information sur les difficultés économiques à d’autres qui seraient tentées de faire le saut. Pourtant, les régions correspondent au mode de vie de certains immigrants originaires des petites villes ou qui aiment les grands espaces comme les Français, les Belges, etc.

Certains immigrants habitent dans les régions périphériques de Montréal, mais travaillent dans la métropole. C’est un phénomène de plus en plus fréquent qui peut également faire croire que le dynamisme économique se trouve dans la grande métropole et que la qualité de vie est dans les régions. Dans la plupart des cas, ces immigrants ont acheté des maisons dans des régions limitrophes de Montréal ou banlieues (Pointe-Claire, Pincourt, Brossard, Basses-Laurentides, Repentigny, Terrebonne, Joliette). Le critère fondamental du Ministère de l’Immigration pour parler de la régionalisation de l’immigration indique que la personne doit habiter ou avoir une distance d’au moins 50 kilomètres du lieu de résidence actuel.

Certains immigrants peuvent vivre très mal un deuxième déracinement, surtout si leurs enfants sont déjà inscrits dans les écoles montréalaises, s’ils ont eux-mêmes des amis dans la métropole ou si leurs enfants s’y sont déjà fait des amis. Ils développent ainsi le sentiment de recommencer le processus d’immigration ou d’intégration. Pour cette raison, le travail fait par les partenaires régionaux est excellent au niveau de l’accompagnement afin de rassurer les immigrants potentiels en régionalisation.

Le problème d’attraction et de rétention des immigrants en dehors des grands centres urbains se pose donc avec acuité pour plusieurs raisons. En effet, les régions ne sont pas au même niveau quand il s’agit de la politique d’accueil et de rétention des immigrants. L’attraction des personnes immigrantes dans les régions peut revêtir des significations différentes.

Les régions ont la capacité d’accueillir de nouveaux arrivants pourvu qu’il y ait des moyens suffisants pour aider tous les acteurs à la réussite de la mission (organismes en régionalisation, CRÉ et acteurs du milieu). L’immigration en région doit être préparée.

Les services offerts, le dynamisme de l’économie régionale, la disponibilité des logements locatifs, l’accessibilité à des places en garderies pour les enfants, la préparation du milieu pour une adhésion au projet constituent des paramètres nécessaires pour une meilleure régionalisation de l’immigration.

La mobilisation des acteurs régionaux ainsi que le renforcement de l’attraction des immigrants établis dans le grand Montréal pourraient permettre aux régions de lutter contre la rareté de main-d’œuvre et, de manière générale, contre la décroissance démographique.

La régionalisation doit occuper plus qu’un axe dans la politique d’immigration québécoise. Le succès de l’attraction des immigrants en région passe inévitablement par l’emploi, pierre angulaire de la régionalisation.

[1] Lire le témoignage édifiant d’Ulrick Chérubin, deuxième vice-président de la Conférence régionale des élus de l’Abitibi-Témiscamingue (CREAT) en commission parlementaire dans le cadre de la Consultation générale sur le document intitulé La planification de l’immigration au Québec pour la période 2008-2010. Journal des débats de la Commission permanente de la culture, Version préliminaire, 38e législature, 1re session (du 8 mai 2007 au 5 novembre 2008), Le mercredi 24 août 2011 – Vol. 40 N° 9.

[2] L’organisme Valorisation Abitibi-Témiscamingue cherche à déconstruire les mythes ou préjugés pour attirer et retenir les immigrants dans sa région.


Réponses

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