Publié par : Doudou Sow | 25 février 2016

Conséquences directes de l’échec des politiques d’intégration = rêves brisés et drames familiaux

doudou-sow-integrationAu moment où le gouvernement du Québec s’apprêterait  à dévoiler sa nouvelle politique et son plan d’action d’immigration, force est de constater que les politiques publiques en la matière n’ont pas donné les résultats escomptés. La non-reconnaissance des acquis entraîne systématiquement une déqualification et un sous-emploi chez les immigrants appartenant à des professions et métiers réglementés. L’analyse des politiques publiques centrées sur l’accès au marché du travail illustre une déqualification et son corollaire, la précarité et l’absence de réussite professionnelle de certaines catégories de population.

Les statistiques catastrophiques concernant les communautés, notamment les Noirs africains, les Haïtiens et les Maghrébins, constituent un signal d’alarme. Si l’on se fie à certaines données et analyses sur la situation des immigrants, l’on peut se questionner sur la précarisation de cette catégorie de personnes, en particulier les minorités visibles ou racisées, et plus grave encore, d’une partie de ces minorités visibles.

Mais, en attendant que les différents acteurs arrêtent de se renvoyer la responsabilité de l’échec de l’intégration des personnes immigrantes notamment les minorités visibles, les chiffres, tristement, continuent à parler d’eux-mêmes.

Le récent reportage de la journaliste d’ICI Radio-Canada Azeb Wolde-Giorghis « Emplois et minorités visibles : une course à obstacles » faisait même remarquer que  « le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les minorités visibles (13,3 %) que dans la population générale (7,2 %), selon les données de Statistique Canada pour 2011. » (Le défi de trouver du travail pour les diplômés issus de l’immigration).

Des programmes d’égalité en emploi dans les organismes publics existent depuis très longtemps peinent à donner des résultats concrets. Les chiffres actuels d’intégration de minorités culturelles dans les organismes publics sont de loin inférieurs à la cible.  Les nouveaux chiffres rendus publics par le journaliste Thomas Gerbet d’ICI Radio-Canada sur la sous-représentation des minorités visibles dans les organismes publics indiquent un maigre pourcentage (en moyenne 5% sur une population de 11% dans la province québécoise) de minorités visibles dans le secteur public québécois.

Les chiffres actuels sur le chômage des immigrants rendus publics en février 2016 dans le cadre des consultations publiques sur la réforme en profondeur de l’immigration portant sur la déclaration d’intérêt, pour un meilleur arrimage entre les besoins des employeurs et les profils sélectionnés, démontrent également l’échec de l’intégration économique des immigrants.

Les nouveaux chiffres de 2015 indiquent un taux de chômage de 18 % chez les immigrants qui comptaient moins de cinq ans de résidence contre 7,6% pour la population native du Québec[1]. Le milieu des affaires concède même que le taux de chômage des immigrants arrivés depuis moins de cinq ans est trois fois plus élevé par rapport à celui des personnes nées au Canada. Un certain désenchantement vient bouleverser les rêves et tout l’intérêt que la personne immigrante avait de la société québécoise considérée dans le processus migratoire comme une société prospère et industrialisée avec des possibilités de carrière immenses.

Les difficultés d’intégration limitent forcément le nombre d’immigrants que le Québec peut raisonnablement admettre. Il n’est pas dans l’intérêt de la société québécoise ni des candidats à l’immigration d’accueillir un grand nombre d’immigrants pour leur offrir de l’aide sociale (plus de 40 %)[2] ou des emplois précaires (équation gouvernement et machine à fabriquer des chômeurs). La cible d’immigration doit tenir compte de ces contraintes.

Les risques d’une mauvaise intégration des immigrants devaient amener le gouvernement libéral provincial à mettre tout ce qui était en son pouvoir pour développer des politiques d’intégration efficaces par un financement adéquat des organismes communautaires. L’état des lieux sur la question de l’augmentation du nombre ou de l’intégration des immigrants passe avant tout par la reconnaissance des acquis et des diplômes des immigrants établis au Québec.

La reconnaissance du potentiel d’employabilité = les performances économiques des immigrants

« Si les personnes immigrantes ne participent pas à la société québécoise à la pleine hauteur de leur potentiel, c’est davantage en raison d’obstacles inéquitables sur le marché du travail qu’en raison de la hauteur et de la valeur de leurs compétences. Avec des taux de scolarisation largement plus élevés que la moyenne des natifs du Québec, les immigrant-es affichent des taux de chômage 2 à 3 fois plus élevés et d’importantes différences salariales. Ces différences sont d’ailleurs plus marquées au Québec qu’au Canada[3] », affirme Mathieu Forcier, chercheur à l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socio-économiques).

Cette citation d’un chercheur québécois de « [l’] institut de recherche sans but lucratif, indépendant et progressiste, […] fondé en 2000[4] » met la table et décrit de façon pertinente les obstacles systémiques à l’apport optimal des immigrants à l’économie québécoise.

La période d’austérité complique davantage la situation précaire déjà vécue par les immigrants. Les difficultés des immigrants à accéder au marché du travail ne datent pas uniquement de la crise économique. Le taux de chômage atteint parfois plus de 30 % chez certaines communautés culturelles. Il est également reconnu que dans un contexte de récession, de ralentissement économique, d’instabilité économique, de perturbation économique, d’incertitude économique, de redressement économique ou de reprise économique, les immigrants trinquent plus que les natifs de la société. C’est un phénomène mondial. Par contre, même quand l’économie québécoise se portait très bien, les immigrants étaient plus touchés par le chômage. En guise de rappel, en octobre 2007, où le taux de chômage (6,9 %) était à son plus bas depuis 33 ans, celui des personnes immigrantes était très élevé. Ce qui prouve que les difficultés d’intégration des personnes immigrantes ne sont pas seulement liées à une cause conjoncturelle mais plus à une cause systémique et des aspects multifactoriels.

Les problèmes de reconnaissance des acquis et les difficultés d’intégration des immigrants

Les problèmes de reconnaissance des acquis et les difficultés d’intégration des immigrants constituent un secret de polichinelle. Des immigrants, qui appartiennent à des professions en demande, sont souvent déboussolés devant la dure réalité du marché du travail lorsqu’ils arrivent au Québec. Les médecins, les ingénieurs, les infirmières, les avocats, les enseignants immigrants appartiennent aux professions qui se butent le plus souvent aux difficultés du marché du travail québécois.

Si le Collège des médecins du Québec (CMQ) ne respecte pas ses engagements vis-à-vis des médecins français, imaginez comment il en sera pour des médecins d’origine africaine, haïtienne, latino-américaine et maghrébine.

On présente les médecins étrangers comme des incompétents et dangereux pour la population québécoise. Qui veut noyer son chien l’accuse de rage. En réalité, certains  médecins diplômés à l’étranger ont obtenu les prérequis exigés. Ils ont passé les mêmes évaluations que leurs collègues québécois. Ils ont réussi les examens d’équivalence du Collège des médecins du Québec (CMQ) ou du Conseil médical du Canada (CMC). Or l’attitude du CMQ ainsi que des facultés de médecine laisse plutôt transparaître une certaine crainte de la  part de leurs membres de se faire submerger par des médecins diplômés à l’étranger.

Depuis plusieurs années successives, plusieurs postes de résidence sont restés vacants alors que des médecins diplômés hors du Canada et des États-Unis (DHCEU) avaient appliqué pour ces postes.

Quand les médecins étrangers réussissent à passer les tests du Collège des médecins, les facultés de médecine, à leur tour, rétorquent que la formation des médecins étrangers leur coûterait 40% de plus pour les encadrer. Selon ces institutions de l’enseignement, la prise en charge des médecins étrangers est « très lourde » pour utiliser un langage politiquement correct. Si les médecins étrangers étaient aussi incompétents que veulent le faire croire le CMQ et les facultés de médecine, comment se fait-il qu’ils puissent pratiquer dans les provinces anglophones (Ontario, Manitoba, Saskatchewan, Colombie-Britannique)?[5]

Ce n’est pas juste une perception que certains ordres professionnels soient fermés et fassent de la surprotection. Hélas, la réalité sur le terrain semble bien indiquer que des difficultés existent et que des immigrants déboursent des sommes d’argent non négligeables pour faire reconnaitre leurs diplômes et ensuite chercher à obtenir un emploi en fonction de leurs compétences.

Les différentes institutions (ordres et facultés) retardent les médecins étrangers dans leur résidence. L’accès au marché du travail se heurte à la fermeture des médecins et des facultés de médecine. Et à ceux qui justifient cet état de fait par le souci de maintenir un certain niveau, il faut répondre que la question n’est pas d’abaisser les standards d’admission à l’ordre mais plutôt de les assouplir en tenant compte de la pénurie de personnel dans le domaine médical.

Loin de la campagne de stigmatisation des facultés de médecine et du CMQ aux médecins diplômés à l’étranger, il faut analyser la question de l’intégration des médecins étrangers sous l’angle de la dignité humaine (médecins inquiets, frustrés et désabusés). Le Collège des médecins du Québec et les facultés de médecine ne rendent pas la dignité humaine aux médecins diplômés à l’étranger. Ils leur enlèvent leur raison d’être et continuent à fabriquer des frustrés dans la société québécoise, des bombes à retardement. Compte tenu de leurs multiples difficultés, des médecins diplômés à l’étranger abandonnent rapidement leurs pratiques. Il devient urgent de changer  la mentalité de ces institutions corporatistes pour l’intérêt de toute la population québécoise.

Le message doit être clair : Québec a besoin de médecins étrangers et Québec s’assure de les intégrer dans le système ou dire que malgré la pénurie de main-d’œuvre, Québec ne peut garantir de faire fléchir le Collège des médecins du Québec et les facultés de médecine et trouver une autre façon de les recruter, les maintenir en emploi et les retenir au Québec. Une fuite de cerveaux qui finit par se transformer en gaspillage de talents. Des médecins chauffeurs de taxi ou livreurs de pizzas ne sont pas hélas un mythe au Québec.  (Lire à ce sujet mon article : Faut-il fermer les vannes de l’immigration aux médecins diplômés à l’étranger?  et écouter l’entrevue audio accordée à Radio Canada International sur l’intégration difficile des médecins étrangers au Québec ).

Des alliés de taille pour la résolution de la question de la reconnaissance des acquis et des compétences

Les personnes immigrantes, tout comme les organismes communautaires voués à l’intégration des personnes immigrantes, doivent se rapprocher davantage de deux acteurs institutionnels : M. Jean-François Thuot, directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ),  qui nous semble très objectif dans ses analyses et Me Gariepy. Le 2 août 2010 marque l’entrée en fonction de Me André Gariépy à titre de Commissaire aux plaintes concernant les mécanismes de reconnaissance des compétences professionnelles. André Gariépy, qui fut directeur général du CIQ, a exercé ses nouvelles fonctions à l’Office des professions du Québec. Le gouvernement libéral provincial a nommé un commissaire à la non‑reconnaissance des acquis pour faire appliquer la Loi : le projet de loi n° 53 – Loi instituant le poste de Commissaire aux plaintes concernant les mécanismes de reconnaissance des compétences professionnelles qui est une des recommandations de la commission Bouchard-Taylor. Même s’il faut saluer cette mise en place d’un commissaire pour trouver des solutions à l’intégration des professionnels formés hors Québec, il faut regretter que le gouvernement libéral provincial ne lui ait pas donné plus de pouvoirs décisionnels. Cet organe indépendant n’est pas un tribunal.

La consultation de ses notes biographiques[6] démontre qu’il a le profil de l’emploi : directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec de 1999 à 2007, membre de l’Équipe de travail sur la reconnaissance des acquis des personnes immigrantes, etc. Il jouit également d’une très bonne réputation auprès de certains ténors du milieu communautaire spécialisé dans la question de l’intégration des personnes immigrantes[7].

Les politiques publiques doivent également tenir compte ou se pencher davantage sur les perceptions des employeurs vis-à-vis des immigrants issus de minorités visibles, mais en particulier les Maghrébins musulmans et les Noirs. Il existe des préjugés grandissants sur ces catégories de population, qualifiées par certains employeurs de non-adaptables à la culture organisationnelle. Et comme le disaient Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest sur la discrimination dans les entreprises : « […] selon la religion d’origine des immigrés, on leur attribue des défauts tels que la lenteur, la passivité, le manque de discipline, etc.[8] ».

Dans le même ordre d’idées, il faut davantage travailler dans les stages et le programme mentorat pour convaincre les employeurs qui sont réticents à embaucher les immigrants. L’entreprise étant un microcosme de la société, l’intégration professionnelle constitue ainsi le contact direct de l’immigrant avec les membres de la société québécoise.

L’intégration est ce mariage parfait entre la personne immigrante qui développe son sentiment d’appartenance à la société d’accueil qui le lui rend bien en lui ouvrant les portes du marché du travail. Un refus de collaboration entre les différentes institutions peut poser un véritable problème sur la question de la reconnaissance des diplômes et des compétences. La situation est souvent difficile pour des personnes immigrantes qui ont trois enfants ou plus et qui refont, quand elles en ont les moyens, le cycle complet des études alors qu’elles pourraient juste suivre quelques cours pour leur mise à niveau des réalités professionnelles québécoises. On peut ainsi aisément comprendre leur amertume.

Par contre, il est certain que la sensibilisation des petites et moyennes entreprises vise à mieux les informer sur les critères de sélection et le choix des immigrants reçus. En étant mieux informés de la rigueur du processus de sélection et de la richesse du potentiel professionnel identifié, les employeurs devraient se montrer moins réticents à embaucher les immigrants compétents. La nouvelle politique de déclaration d’intérêt (projet de loi 77 sur la réforme de l’immigration) basée sur un arrimage entre les profils des personnes sélectionnées et les besoins réels et actuels des employeurs peut constituer une solution pour diminuer le chômage des personnes immigrantes. Mais, elle est loin d’être une panacée compte tenu de l’arbitrage délicat des critères de sélection et des causes structurelles de l’échec des politiques d’intégration[9].

Si tous les outils d’employabilité existent au Québec, il n’en demeure pas moins un problème d’arrimage ou d’harmonisation de certaines pratiques. Il faut davantage valoriser le capital humain et changer la mentalité où les attitudes des employeurs réticents à l’égard de certaines communautés (rapport sur la discrimination patronymique, rapport sur les médecins étrangers) deviennent un problème de société. (Lire à ce sujet mon article : Minorités racisées et discrimination systémique : état des lieux)

En général, les employeurs ne veulent pas embaucher des immigrants qui n’ont pas une expérience québécoise. Cette exigence d’une expérience locale est une contrainte majeure pour une intégration rapide des immigrants. Il importe donc que les acteurs qui interviennent dans le domaine de l’employabilité des immigrants refusent de baisser les bras. Ils doivent au contraire structurer davantage leur argumentaire auprès des PME afin de convaincre les employeurs du potentiel de l’apport des immigrants dans leur contexte organisationnel (créativité, innovation, taux de roulement du personnel moins élevé, organisation socialement responsable, etc.).

Au rythme actuel du processus d’intégration des communautés culturelles, il faut attendre des années pour renverser la tendance de la courbe de chômage élevé chez les travailleurs issus de l’immigration. La formation au Québec ou l’adaptation des compétences, pour acquérir une formation gagnante, développer des compétences manquantes et combler certaines différences organisationnelles, ne signifie pas systématiquement une intégration rapide en emploi comme en atteste le cas des universitaires immigrants chômeurs.  On observe ainsi le phénomène des chômeurs instruits ou chômeurs très qualifiés qui se remettent à réétudier pour retomber dans le chômage.

Drames familiaux

Pour plusieurs familles immigrantes, l’échec de l’intégration professionnelle représente un moment difficile dans leur vie. Le souvenir ou la nostalgie d’avoir laissé une situation intéressante ou confortable dans son pays d’origine versus les difficultés les replonge dans un sentiment d’amertume ou de regret. Le passé professionnel dans le pays d’origine vient hanter la difficulté à se trouver un emploi. Le deuil professionnel devient dès lors une période ardue à traverser. (Lire à ce sujet mon article : L’immigration : un drame humain et social).

Des couples immigrants se séparent de plus en plus. Pour les communautés africaines et maghrébines, on assiste ainsi à un renversement du statut de chef de famille aux sens figuré et propre. Le mari, principal pourvoyeur, affecté par son nouveau statut de chômeur, voit son rôle diminué (référentiel de son système de valeurs), et éprouve alors un complexe devant sa femme qui revendique son côté indépendant dans une société égalitaire.

La détresse psychologique s’installe donc chez des pères immigrants originaires de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb qui voient leur rôle ainsi diminué et qui ont l’impression de moins protéger leurs familles dans leur société d’accueil. Les enfants qui devaient s’identifier à leurs parents, leurs premiers modèles, n’ont plus de repères. Ceci remet sur la table, une fois de plus, la question de l’intégration par l’emploi qui pourrait faciliter l’éducation des enfants et l’harmonie au niveau de la famille et de la société d’accueil de manière générale. Le rêve d’une vie meilleure pour l’immigrant et sa famille, notamment pour ses enfants, fait partie des principales raisons du choix de l’immigration.

En définitive, les autorités québécoises doivent développer de bonnes politiques d’intégration afin de convaincre leurs immigrants de rester sur le territoire québécois et d’éviter un gaspillage de talents. Il faut cependant mettre en place une politique d’intégration économique très active avec la collaboration de tous les acteurs de la société. Si la délégation générale du Québec recrute pour d’autres provinces, il y a de quoi se poser des questions. Il existe, certes, un principe de libre circulation entre les provinces canadiennes, et même mondiales, mais nous pensons personnellement qu’il est dans l’intérêt du Québec de retenir les immigrants. Même si l’évaluation de la grille de sélection doit être améliorée, l’immigration est quand même très sélective. Les personnes qui ont été choisies font partie de la crème de la crème, de l’intelligentsia, et peuvent aider le Québec à faire face aux défis du 21e siècle.

Les avantages de la diversité ne sont pas connus et reconnus par tous. La perception de l’immigration n’est pas la même d’une région à une autre. La peur de la différence peut pousser certains individus à se créer des mondes imaginaires. L’immigrant doit également aller vers l’autre pour déconstruire certains mythes.

En effet, la population québécoise ne connaît forcément pas le rôle de l’immigration et devrait être plus sensibilisée sur cette délicate question. Questionné par le député de Bourget, Maka Kotto, sur la perception actuelle des Québécois sur l’immigration (un facteur positif ou négatif), le président du conseil d’administration de l’Hirondelle, Laurent Tremblay, répond avec pertinence, sous une forme interrogative, ceci :

« Qu’est-ce que l’ensemble des Québécois pense en termes d’immigration? Je ne peux vraiment pas vous le dire. Mais, je pense que peut-être l’opinion changerait si la majorité des Québécois savaient par où doit passer un immigrant pour réussir à s’intégrer. Peut-être que ces gens-là auraient peut-être beaucoup plus de reconnaissance qu’ils en ont aujourd’hui[10]. »

Sur certains forums québécois, et dans la vie de tous les jours, on entend souvent des Québécois dire explicitement ou implicitement « tant qu’à moi, si vous n’êtes pas contents, restez donc dans votre pays d’origine au lieu de venir brailler au Québec. » Certes, les immigrants doivent cesser de se plaindre à tout bout de champ. Loin de les dédouaner, ils paient leurs impôts et contribuent au développement de la société québécoise. Pour cette raison, ils peuvent mettre leur grain de sel lorsque des sujets les concernent. Ils profitent du système (éducation de leurs enfants) tout comme le système profite d’eux (paiement des retraites, etc.). Ils ne peuvent pas se permettre de retourner dans leur pays d’origine parce qu’ils ont tout laissé derrière eux, voire bradé tous leurs biens. Les commères se moqueraient alors de ces personnes dont le seul crime aurait été de s’expatrier pour de meilleures conditions.

Certains diplômés immigrants peuvent se retrouver avec des dettes d’études à payer alors qu’ils avaient fait une formation pour avoir plus de chances de se trouver un emploi. Accueillir ou intégrer mal les immigrants ne réglera pas le problème de la cohésion sociale. Certes, les immigrants ne peuvent pas changer les lois ou le système déjà mis en place, mais ils peuvent demander légitimement un assouplissement des critères des ordres professionnels, plus d’ouverture de la part des employeurs.

La promotion passe inévitablement par les médias qui sont le miroir de la société. Pour éviter les fractures identitaires, il faut sensibiliser la population d’accueil à la diversité culturelle tout en sensibilisant les personnes immigrantes aux valeurs de la société d’accueil. L’information sur la sensibilisation des immigrants aux valeurs de la société d’accueil doit s’inscrire dans une démarche de réciprocité impliquant, de la part de la société d’accueil, plus d’ouverture et une intégration professionnelle facile des immigrants.

Depuis des années, le ministère de l’Immigration du Québec finance les ordres professionnels qui développent des outils pour mieux évaluer les compétences des immigrants. Malgré la mise en place du projet de loi, des signatures des ententes par le biais des outils, le problème reste et demeure. Le projet de loi n° 25 (modification du code des professions) n’a pas pour autant résolu le problème de fermeture de certains ordres professionnels. Le système des ordres professionnels, tel qu’il est structuré, laisse place à beaucoup d’interrogations.

Une hypothèse plausible irait dans le sens que les échecs de l’intégration seraient plutôt dus à la conjugaison de plusieurs facteurs : la non-reconnaissance des diplômes et des acquis par certains employeurs, le cercle vicieux « pas d’expérience canadienne, pas d’emploi  et vice versa », la barrière linguistique, la discrimination raciale à l’embauche à l’égard de certaines communautés culturelles, le faible réseau et le manque de connaissance du marché du travail québécois, les problèmes d’attitude, la méconnaissance des codes culturels, le temps nécessaire à l’adaptation, l’inadéquation actuelle entre les offres d’emploi et les profils due à la grille de sélection des immigrants, le sous-financement des organismes communautaires, la fermeture des ordres professionnels, la déqualification professionnelle, l’absence ou les difficultés à trouver des formations passerelles pour les immigrants, la forte concentration des immigrants à Montréal.

L’auteur est sociologue-blogueur, conférencier et consultant. Il a publié en avril 2014 deux essais : « Intégration professionnelle des personnes immigrantes et identité québécoise : une réflexion sociologique » et « Intégration : une responsabilité partagée entre la société d’accueil et la personne immigrante.

Blogue de Doudou Sow (Intégration professionnelle)

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[1] Les récents chiffres ont été donnés par la ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), Kathleen Weil,  dans le cadre de l’audition du Conseil du patronat du Québec (CPQ) du 16 février 2016  au sujet du projet de loi sur la réforme de l’immigration (projet 77).

[2] Selon les récents chiffres donnés par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, et repris par le porte-parole de l’opposition officielle en matière d’immigration, des communautés culturelles et de Charte de la langue française,  Maka Kotto, en commission parlementaire sur la réforme de l’immigration. Les difficultés des immigrants se mesurent-elles aussi à leur inscription massive à l’assistance sociale? Les chiffres parlent-ils d’eux-mêmes? La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit porter une attention particulière aux immigrants, notamment les minorités visibles. Il est faux de penser que les personnes immigrantes s’accrocheraient au bien-être social plus que les Québécois « tricotés serrés ». Il serait aussi faux de penser qu’ils se plaisent bien dans cette situation, même si certains d’entre eux pourraient en abuser.

Certains immigrants conçoivent l’aide sociale comme de la charité et préfèrent ne pas en arriver à ce stade. Les immigrants laissent tout derrière eux dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe ou en Amérique du Nord. Un rêve qui peut se concrétiser tout comme devenir un cauchemar. Les articles des journalistes de La Presse, Claude Picher et Denis Lessard, démontrent que l’aide sociale est une mesure de transition et permettent de tirer plusieurs enseignements : les immigrants sortent plus rapidement de l’aide sociale que les natifs et ils travaillent très dur pour s’en sortir. Pour certains immigrants, l’aide sociale est une transition ou un tremplin vers une formation ou un autre emploi correspondant à leurs compétences. Claude Picher, économiste au journal La Presse, avait écrit un excellent article portant sur « Immigrants et travail : mythes et réalités » publié le 28 février 2009. Cet article nous paraît enrichissant à plusieurs égards.

[3] Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). Le potentiel économique des immigrant-es sous-utilisé à cause de la discrimination : Communiqué CNW Telbec, Montréal, 27 nov. 2012.

[4] En ligne, http://www.iris-recherche.qc.ca/mission [Consulté le 12 mai 2013].

[5] La complexité de la problématique d’intégration des médecins étrangers mérite une analyse particulière. Pour cette raison, nous consacrerons notre troisième livre sur l’un des talons d’Achille de la politique québécoise d’intégration.

[6] En ligne, http://www.opq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Professionnels_formes_hors_du_Quebec/CPRC-A.GariepyRelBio10-08-02.pdf

[7] Nous reviendrons sur ces questions dans notre troisième livre : L’intégration des médecins étrangers au Québec : un véritable panier à crabes.

[8] Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest, «  L’intégration des immigrés sur le marché du travail à Montréal : un parcours de combattant », Regard sur les industries des produits pharmaceutiques et biotechnologiques, vol. 2, numéro 1, juin 2009, p.6.

[9] Nous y reviendrons plus amplement dans nos prochaines analyses.

[10] Laurent Tremblay, « Consultation générale et auditions publiques sur le document de consultation intitulé La planification de l’immigration au Québec pour la période 2012-2015 », Journal des débats de la Commission des relations avec les citoyens, Version préliminaire, vol. 42 « 39e législature, 2e session (23 février 2011 au 1er août 2012) », no 9, 31 mai 2011.


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