L’expulsion de Maria Mourani du Bloc québécois, le 12 septembre 2013, a relancé le débat sur la souveraineté. L’ancienne députée souverainiste devenue fédéraliste n’avait fait que répéter hautement ce que la plupart des personnes immigrantes disaient au sujet du Parti québécois sur son projet controversé : la Charte des valeurs québécoises avait l’allure ″d’une démarche électoraliste et d’un nationalisme ethnique″.
Nous pensons comme l’ancien premier ministre souverainiste du Québec, Lucien Bouchard, que la Charte des valeurs québécoises aura des répercussions négatives sur « la perception [des immigrants] de ce que serait un Québec souverain ». Ce sont les souverainistes qui ont eux-mêmes mis fin à leur espoir de voir la souveraineté se réaliser, avons-nous twitté au sujet de l’expulsion de Maria Mourani, une décision nuisible au projet souverainiste.
Le Québec a laissé le terrain pour que les fédéraux démontrent aux immigrants qu’ils sont les seuls défenseurs des minorités au Canada même si le Québec est également une minorité au sein du Canada.
Les immigrants rejettent-ils le projet de souveraineté ou votent-ils pour les libéraux pour leur programme? Soulignons également que ce ne sont pas simplement certains immigrants qui ne veulent pas de la souveraineté.
Le discours politique du PQ doit se renouveler et tant et aussi longtemps que les immigrants auront peur de la souveraineté, ils n’embarqueront pas dans ce projet, d’où la nécessité de « Faire la politique autrement » pour séduire les néo-Québécois. Il ne faut pas mésestimer la crainte des immigrants de se séparer du Canada. Certains immigrants se méfient ou hésitent à faire le pas ou à opter pour l’indépendance du Québec. Certaines personnes développent une crainte justifiée avec les positions du gouvernement péquiste actuel dont il faudra tenir compte. À ce titre, il faut privilégier une approche pédagogique de la souveraineté pour les convaincre et non les marginaliser ou les pointer du doigt comme ceux et celles qui empêchent la souveraineté de se réaliser. Mieux, le PQ et l’ensemble des forces souverainistes n’auront pas d’autres choix que de convaincre les immigrants du pourquoi ils ont intérêt à ce que le Québec devienne un pays. En d’autres termes, il faut expliquer concrètement aux immigrants pourquoi ils ont plus à gagner avec un Québec souverain. Le crédo péquiste «La souveraineté pour tous» trouvera ainsi un écho plus favorable et moins radical.
Au moment où certains souverainistes invitaient des immigrants ou leur reprochaient de ne pas les accompagner dans la quête de la souveraineté, le PQ avait l’habitude de s’entredéchirer sur la place publique .
On fait souvent le reproche aux immigrants de vouloir rester dans le Canada anglais ou on demande aux immigrants souverainistes de prouver continuellement leur allégeance souverainiste. Certaines personnes ont qualifié Maria Mourani d’opportuniste quand elle a changé d’orientation politique alors que cette femme a essayé durant tout son parcours politique de créer le pont entre les souverainistes et les communautés culturelles. Pourquoi ne critique-t-on pas aussi des souverainistes québécois mous qui veulent rester dans le Canada anglais, du moins pour l’instant, ou ceux qui ont cheminé dans leurs décisions en adoptant une nouvelle appartenance fédérale?
Dans cette querelle entre les fédéralistes québécois et les souverainistes québécois, l’immigrant se retrouve dans l’entre-deux et est critiqué de toutes parts. On assiste ainsi sur la scène publique et politique à des chicanes (engueulades) entre des souverainistes québécois qui accusent les fédéralistes québécois d’être les fossoyeurs de la nation québécoise et des fédéralistes québécois qui traitent leurs frères également de fossoyeurs de la nation canadienne.
Les immigrants font face aussi à la question des deux solitudes et sont parfois coincés dans cette question. Les partis fédéraux ont intérêt à ce que les immigrants se réfèrent plus à l’identité fédérale que provinciale, histoire de perpétuer le fédéralisme. Nous anticipons même des attaques sur notre livre de la part de certains conservateurs fédéralistes qui nous accuseront certainement de faire la promotion de la souveraineté et de diviser le pays. Nous pouvons les rassurer en leur disant que le projet du gouvernement péquiste actuel de diviser la population nous a éloigné du projet souverainiste.
Certaines personnes immigrantes disent souvent qu’elles sont venues au Canada et non au Québec qui n’est pas encore un pays. Les souverainistes n’apprécient guère cette position de l’immigrant s’identifiant au pays canadien plus qu’au peuple québécois. Il y a aussi ceux qui décident de venir vivre au Canada, mais en choisissant le Québec.
Le Québec cherche à redéfinir son identité. Les immigrants préfèrent le confort et se demandent quel sort leur serait réservé si le Québec prenait son indépendance, bref ce qui adviendrait de ce contexte, de ce changement, de leur avenir, de leur intégration. Les Québécois seront-ils (plus ou) ouverts à leur égard? L’indépendance du Québec permettrait-elle de régler la question de l’identité inclusive ou de l’immigration tout court?
Certains immigrants trouvent contradictoire le besoin de se séparer dans un contexte de mondialisation où les grands ensembles se créent et non se défont (union européenne par exemple). L’immigrant veut aussi avoir les avantages du Canada même s’il est établi au Québec.
Certes, certains immigrants dans le processus de sélection ont choisi de venir au Canada et de s’établir au Québec. D’autres ont choisi de venir au Québec et de s’y établir parce que le Québec est francophone et incarne des valeurs comme la justice sociale, la social démocratie, l’égalité, etc. Des valeurs troquées par la question de l’identité défendue actuellement par le PQ ne permettent plus aux immigrants de se définir par rapport à un projet souverainiste.
Les immigrants sont partagés entre le fédéralisme centralisé et la séparation du Québec du reste du Canada. Autrement dit, ils sont pris entre deux feux, l’option fédéraliste ou souverainiste. Ils sont accusés à raison ou à tort de maintenir le Québec dans le Canada et, de surcroît, empêcher la souveraineté. Certains disent qu’ils appuient Un Québec plus fort dans un Canada uni et d’autres, qui n’apprécient guère la position internationale, souhaitent se connecter avec les souverainistes alors que d’autres reconnaissent le changement du Canada, mais ne sont pas prêts à faire le saut dans le camp souverainiste.
La question de la réunification familiale, la reconnaissance des acquis, l’intégration professionnelle des immigrants, la question des médecins étrangers, le racisme et la discrimination constituent les principales préoccupations des immigrants, peu importe le pays ou le projet de pays dans lequel ils vont s’identifier.
La certitude de Parizeau sur la défaite du 30 octobre 1995 du référendum sur la souveraineté : ″C’est vrai qu’on a été battu? Au fond, par quoi, par l’argent et des votes ethniques. Essentiellement.″ Et la salle qui se mettait à applaudir reste une image qui trotte dans la tête des immigrants fédéralistes tout comme ceux intéressés par le projet de souveraineté. Quand le sociologue conservateur Mathieu Bock Côté, « Dans Dumont : Le Québec reçoit t-il trop d’immigrants? » dit que « depuis la déclaration de Parizeau, il y a une ″censure sur l’immigration au Québec″ », nous pensons comme lui que l’immigration ne doit pas être un sujet tabou, mais quand certains n’en parlent que pour en évoquer le côté négatif, c’est là où il y a un véritable problème.
Nous rappelons et répétons qu’au sujet de la position modérée de l’ancien premier ministre du Québec sur l’actuel débat sur la Charte des valeurs québécoises, nous avons twitté ceci le 4 octobre 2013 : « Les immigrants ne retiendront plus seulement de l’héritage politique et culturel de Parizeau sa déclaration maladroite du «Nous» et «Eux». Ils lui seront reconnaissants pour sa modération identitaire dans le controversé débat du projet de loi sur la Charte des valeurs québécoises. Bravo pour sa sagesse. Le Québec doit avoir son propre modèle de laïcité. »
L’adhésion à la souveraineté n’est pas un débat immigrant-société d’accueil. Les Québécois ont décidé pour l’instant de mettre sur la glace ou dans le frigo le projet de souveraineté, comme en témoignent certains récents sondages (Sondage CROP/Radio Canada, Référendum sur la souveraineté : 61 % des Québécois voteraient non, twitte du 9 mars 2014 du journaliste de RDI, Patrice Roy). Mieux, en 1995, la proportion d’immigrants était de combien. « Le poids relatif de la population immigrée dans la population totale est passé de 9,4 % en 1996 à 9,9 % en 2001 et à 11,5 % en 2006 . »
Les fédéralistes joueront toujours de manière stratégique sur le débat du «Eux» et du «Nous» pour rappeler aux immigrants les propos de Parizeau tenus dans un contexte d’amertume et de défaite suite au référendum de 1995 où le non à la souveraineté l’a remporté de justesse. Cette gaffe de Parizeau suivra incontestablement le Parti québécois et risquera parfois de plomber les chances réelles de ce parti d’aller chercher plusieurs minorités. Ne dit-on pas qu’en politique, la perception, c’est la réalité?
« Libérer la parole » (dixit Mathieu Bock Côté “dans Dumont : Le Québec reçoit t-il trop d’immigrants?”) ne veut pas dire n’importe quoi lorsque l’auteur de « La Dénationalisation tranquille » faisait référence aux propos de l’ancien député péquiste de la circonscription de Borduas à l’Assemblée nationale du Québec, Pierre Curzi, qui établissait un lien mécanique entre immigration et fédéralisme ou un nombre élevé d’immigration et la question indépendante.
Le vocable Québécois de toutes origines marque incontestablement une ouverture. Quand le débat se pose toujours en termes du «Nous» et du «Eux», la frustration sera toujours grande des deux côtés. Cette distinction heurte la sensibilité de tous les bords. Nous préférons plus un «Nous» inclusif qu’une division «Nous» et «Eux» parce que le «Eux» fait partie intégrante du «Nous» et ne saurait en être dissocié.
La question de la position politique des immigrants dans le contexte québécois et canadien fait souvent débat. Une anecdote illustre la peur des immigrants devant l’inconnu et le changement de vision et traduit le sentiment de confort qui les habite. Des amis immigrants que nous invitions à se prononcer de manière informelle sur le sujet de la souveraineté, bien avant la démission de Mouriani et le débat sur la Charte des valeurs québécoises, nous disaient que de leur côté, ils avaient peur que le Québec les renvoie dans leur pays d’origine, une fois l’indépendance proclamée. Ils argumentaient en disant et je les cite : « Aujourd’hui les Québécois souverainistes ont comme ennemis les Anglais, mais demain nous serons les cibles ».
Mais nous leur avions répondu en ce temps que la province de Québec ne s’est jamais dotée d’un ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles ou même d’un ministère de l’Intérieur, comme on l’a connu en France sous Pasqua et Sarkozy, qui se donnait des quotas pour chasser les immigrants, d’où le fameux slogan Immigration zéro. Il faut quand même reconnaître que la politique de l’immigration au Québec ne se conçoit pas seulement pour des raisons économiques, mais renferme aussi des valeurs humaines et culturelles traduisant la philosophie du peuple québécois.
Les politiques d’immigration, quoiqu’imparfaites, constituent un bel exemple que la société québécoise est en avance sur beaucoup de pays prônant l’égalité dans le domaine de la tolérance et du respect des citoyens, quelle que soit leur origine ethnique ou leur appartenance religieuse.
Le Québec a besoin des immigrants comme les immigrants ont besoin du Québec. Les Québécois n’ont pas montré une hostilité ou une haine envers les immigrants même si des sujets sensibles sur le voile ou des signes religieux peuvent parfois donner l’impression d’un rejet de la population de certaines communautés culturelles.
Peu importe le gouvernement mis en place (souverainiste tout comme fédéraliste), il existe des éléments de base de cette démocratie qui ne sauraient être remis en cause : l’ouverture sur le monde, la richesse de la diversité, la contribution économique des personnes immigrantes. Cette conception ne relève pas de la naïveté, mais du bon sens.
Il serait aussi démagogique de notre part de ne pas reconnaître que certains irritants donneront une perception des partis se réclamant de la souveraineté, surtout le PQ, comme des partis moins favorables à l’immigration. Mais chemin faisant, les membres des minorités visibles s’intéressent à certains partis souverainistes comme Québec solidaire et Option nationale, non pas exclusivement en raison du projet souverainiste, mais pour leurs programmes sociaux et leur conception inclusive de la diversité.
Les personnes immigrantes perçoivent dans la communication du Parti québécois une volonté d’assimiler plus que d’intégrer. Québec solidaire intègre plus la notion d’intégration des personnes immigrantes et l’inclut dans sa plate forme électorale. Le Parti Québec solidaire, que certains qualifient de parti hétéroclite, peut devenir le véhicule ou la locomotive modérée facilitant la douce transition des immigrants récalcitrants au projet de société souverain. Le Parti québécois ne pourrait plus incarner à lui seul le projet souverainiste.
Les solidaires pensent à juste titre que le projet de société est plus important que le projet de souveraineté. Certaines figures historiques du mouvement souverainiste préfèrent de plus en plus parler d’indépendance plutôt que de souveraineté en insistant sur le caractère rassembleur et international du terme indépendance.
Les péquistes n’ont pas d’autres choix que de continuer à faire des yeux doux aux immigrants. Ce qui nous semble normal dans une perspective réaliste ou opportuniste. Aucun des partis politiques ne peut ignorer à l’heure actuelle le vote des personnes immigrantes. « Les partis politiques se disputent le vote des immigrants », un article en lien avec les prévisions sur les minorités visibles de Statistique Canada de 2031 publiées en mars 2010. Le vote des immigrants devient de plus en plus une réalité électorale incontestable dans le contexte d’une immigration massive. Des partis politiques qui courtisent le vote des immigrants sont conscients de la nouvelle réalité électorale des immigrants qui peuvent faire basculer les résultats d’une élection d’un côté comme de l’autre. Les récentes prévisions de Statistique Canada sont à l’effet que : « Statistique Canada estime que d’ici 2031, environ la moitié des Canadiens de 15 ans et plus seront nés à l’étranger ou auront au moins un parent né à l’extérieur du Canada ».
On peut donc comprendre l’intérêt des partis politiques à encourager les personnes immigrantes à aller voter. Les communautés culturelles doivent participer davantage à la vie culturelle, sociale et politique et lutter contre leur sous-représentation.
L’implication des immigrants sur la scène politique à tous les paliers gouvernementaux favorise leur participation civique pour une meilleure intégration dans la société d’accueil. Les personnes immigrantes devraient s’impliquer davantage dans la politique municipale, provinciale et fédérale. Si elles veulent faire partie de ceux et celles qui définissent les politiques au lieu de les subir, celles qui rendent applicables les politiques publiques, elles doivent être de plus en plus visibles lors des manifestations politiques. Leur présence massive accordera plus de crédibilité aux représentants qui viennent de leurs communautés. Quand, dans des manifestations publiques, l’on voit à peine une dizaine de Noirs ou de minorités visibles, il serait pratiquement impossible que des responsables de partis politiques puissent faire confiance à des personnes de minorités visibles qui veulent se présenter. Les immigrants doivent prendre leur place et ne pas attendre qu’on leur accorde une place dans la société.
Le Parti libéral provincial se taraudait de gouvernement de diversité et pensait que le vote des immigrants lui était acquis d’office : une grave erreur que n’a pas voulu répéter le nouveau chef libéral, Philippe Couillard. Aujourd’hui plus que jamais, les personnes immigrantes comme n’importe quel citoyen votent sur la base des principes qui leur parlent. Les immigrants, très instruits, votent sur la base de valeurs et d’idéaux politiques. Ils sont emballés par les projets politiques crédibles.
La question du positionnement des personnes immigrantes dans le débat pour et contre le projet souverainiste est un sujet complexe qu’il sera difficile de traiter même s’il occupe une part importante dans l’intégration ou non des personnes immigrantes. L’avenir du Québec souverain ne peut s’écrire sans les personnes immigrantes. Des questions, entre autres, de valeurs, d’image, d’intérêts sont à analyser en profondeur. Un débat de société, en quelque sorte.
Ce texte est extrait du livre « Intégration : une responsabilité partagée entre la personne immigrante et la société d’accueil » paru le 2 avril 2014.
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