La question du vivre-ensemble harmonieux se pose et est débattue dans tous les pays accueillant des immigrés (France, Canada, Allemagne, Hollande, Australie etc.).
Le Québec, une société française laïque, adopte une politique d’intégration basée sur l’interculturalisme, ce qui est aux antipodes de la politique fédérale multiculturelle. Le Québec, qui a une histoire qui lui est propre, accueille la diversité dans une perspective interculturelle.
La convergence culturelle favorise la rencontre entre différentes cultures. Elle est le fruit d’un interculturalisme se définissant par la langue. Mais l’interculturalisme n’est pas seulement lié à la culture. Le site du symposium international sur l’interculturalisme abonde dans ce sens :
« L’interculturalisme propose une manière de vivre ensemble dans la diversité. Sa caractéristique principale réside dans une insistance sur les interactions, échanges, rapprochements et initiatives intercommunautaires dans un objectif d’harmonisation, d’intégration et d’unité. Dans le respect de la diversité, le modèle vise aussi à faire émerger à long terme des valeurs, des visions et des aspirations communes au sein des composantes ethnoculturelles de la société » .
Le Québec accueille la diversité dans une perspective interculturelle. Le Québec se définit par une histoire qui lui est propre et qui fait son unicité. La Belle province cherche à traduire, dans sa politique d’immigration, ses valeurs intrinsèques qui caractérisent les fondements de la société. Selon la conception québécoise de l’immigration, l’unité dans la diversité se fera autour des valeurs communes. La problématique de l’approche interculturelle constitue une philosophie qui met les cultures à équidistance.
La politique du développement interculturel fut adoptée par le Parti québécois (en 1978), deux ans après son élection au pouvoir, dans le cadre de la politique québécoise de développement culturel qui porte la marque de Camille Laurin, ministre d’État au Développement culturel (1976-1980).
Le Parti québécois optait pour la vision de la convergence culturelle définie en 1981 dans le document : « Autant de façons d’être Québécois ». Le Parti libéral instaura quant à lui la culture publique commune et le contrat moral. L’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration de 1991 définit très bien cette vision. Les deux approches s’accordent sur le fait que l’immigration est une nécessité pour le développement de la société québécoise.
L’auteure Micheline Labelle, qui parlait de l’évolution de la politique québécoise d’intégration à travers le plan d’action de 1981 institué sous le règne des péquistes, disait ceci :
« Dans ″Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles″, le gouvernement du Québec définit une politique de « convergence culturelle ». Le peuple québécois est défini comme une « nation » à caractère français. Si la culture française est présentée comme un foyer de convergence des cultures des minorités, on affirme la légitimité de ces dernières que le gouvernement du Québec entend maintenir « originales et vivantes partout où elles s’expriment » . »
La convergence culturelle a comme postulat la construction commune de la société québécoise avec les autres communautés culturelles établies sur le territoire québécois. La conception québécoise de l’intégration se situe dans l’interculturalisme. Certaines personnes préfèrent opter pour la philosophie (interculturalité) en lieu et place de l’idéologie (interculturalisme). En tout état de cause, le modèle québécois d’interculturalité ou d’interculturalisme existe bel et bien. La société québécoise n’offre pas simplement de simples discours. Une ethnicité n’existe pas en soi et n’a de sens que dans les rapports aux autres; elle ne se situe donc pas en marge de la société.
Dans une conférence intitulée « Entre le modèle d’intégration provincial et le modèle fédéral : Quelle différence pour nous » animée par Rachad ANTONIUS et organisée par le centre culturel algérien le 25 juillet 2009, une femme d’origine maghrébine avait posé une question qui nous parait intéressante à commenter. Selon elle, est-ce que s’intégrer c’est laisser tomber sa culture et adopter intégralement les valeurs de la culture de la société d’accueil? En clair, l’intégration signifie-t-elle l’assimilation? Notre réponse est non.
L’intégration ne signifie pas reniement ou déni de son identité d’origine. Les personnes immigrantes ne peuvent pas ranger aux oubliettes tous les traits culturels qui ont façonné leur personnalité. L’individu est le produit de sa société et s’affranchit au fur et à mesure des zones d’inconfort culturelles.
Les Québécois ne demandent pas aux immigrants de faire table rase de leur culture d’origine. Ils souhaitent, par contre, que certains immigrants mettent de côté certaines valeurs qui sont en contradiction avec celles de la société d’accueil et pourraient remettre en cause les acquis de la révolution tranquille (le crime d’honneur, le port du voile intégral, etc.). D’ailleurs, ce serait même paradoxal de demander aux immigrants de s’assimiler puisque les Québécois eux-mêmes défendent leur identité et savent mieux que quiconque ce que l’assimilation signifie parce que l’ayant vécue lors de la colonisation anglaise. Ils comprennent de ce fait que l’identité évolue et s’enrichit de celle des autres, ce qui n’empêche pas certains Québécois, minoritaires certes, de demander aux immigrants d’abandonner leur culture et de faire exactement tout ce qu’ils font : il s’agit là d’un ethnocentrisme poussé à l’extrême. Ce serait là une erreur grave puisque ne laissant place à aucune différence. C’est la raison pour laquelle nous disions que nous sommes contre l’interculturalisme « absolutisé ». Étant une minorité dans la minorité, les Québécois peuvent parfois avoir tendance à se replier sur eux-mêmes pour se protéger et défendre ardûment leur identité. Il faut, à notre humble avis, trouver le juste milieu. Cette attitude adoptée par certains Québécois ne favorise pas l’adhésion des personnes immigrantes à la culture dominante majoritaire. Autant on peut demander aux personnes immigrantes d’arrêter de juger la société d’accueil selon leurs propres référents culturels, autant on peut demander à la société d’accueil de cesser de prôner l’assimilation. Personnellement, nous revendiquons notre double identité québécoise et sénégalaise et arrivons à trouver le juste équilibre. Nous venons d’une société qui a le sens de l’hospitalité (Téranga) , de la tolérance et du vivre ensemble. Nous sommes également un fervent défenseur de l’interculturalisme et du fait français.
La problématique de l’intégration des immigrants ne doit pas s’inscrire dans un interculturalisme « absolutisé » et encore moins dans un multiculturalisme « absolutisé ». La conception d’un interculturalisme poussé à l’extrême ne laisse place à aucune ouverture. Elle étouffe alors la personne immigrante qui refuse l’assimilation et développe un repli identitaire qui ghettoïse davantage l’immigrant. Par contre, l’approche « tout est permis » amène la personne à se référer constamment à ses référents culturels. L’approche qui constitue la voie royale est pour nous celle de la convergence culturelle. Cette architecture idéologique établit un fondement solide pour la question de l’interculturalisme. Elle est plus juste, plus équitable et plus progressiste. Elle appelle les peuples à construire un projet ensemble. Elle valorise le projet de cohésion sociale et empêche toute anarchie. Cette vision rassembleuse définit un modèle où les individus se reconnaissent dans leur essence. Elle fixe les limites à partir d’un canal de valeurs et trace la voie d’un projet de société harmonieuse et ouverte sur le monde.
Dans la conception du multiculturalisme, la personne immigrante préserve la totalité de sa culture et s’identifie, d’abord et souvent, à sa communauté ethnique plutôt qu’à la société d’accueil.
Choisir entre la politique fédérale du multiculturalisme canadien et la politique provinciale de l’interculturalisme québécois place les immigrants dans une situation parfois complexe. La définition du multiculturalisme canadien reconnait officiellement les deux langues nationales tout en acceptant les communautés culturelles. Mais des membres du Parti québécois qui revendiquent une identité sociale démocrate s’objectent au multiculturalisme au nom de l’inclusion et parlent plutôt de la nécessité de reconnaitre les diplômes des immigrants. Le Parti québécois préfère parler de l’identité québécoise tout en réclamant la souveraineté économique.
La complexité de la définition de l’identité canadienne ou de l’absence d’identité canadienne amène certains politologues comme Richard Grifitz à penser qu’ « il faut forcer les immigrants à abolir (renoncer à) la double citoyenneté. » Selon lui, « la double nationalité mine l’engagement des nouveaux arrivants envers le pays d’accueil. » Si nous sommes d’accord avec lui sur le fait que les immigrants doivent se définir par rapport à la société d’accueil, nous ne pensons pas qu’il faille nécessairement supprimer la double citoyenneté.
Les immigrants ne se définissent pas automatiquement par rapport à la société d’accueil. Les nouveaux arrivants se sentent, dans un premier temps, plus proches des associations ethnoculturelles qui essaient de perpétuer la chaîne de solidarité. Dans les sociétés africaines, le groupe est plus important que l’individu, ce qui est aux antipodes de la société d’accueil qui valorise au contraire l’individu plus que le groupe. Quand on parle de risque de ghettoïsation de ces associations, on pense le plus souvent aux valeurs qui sont mises de l’avant dans certaines sociétés et qui ne pourraient pas concorder avec les valeurs de la société d’accueil. Mais, ce qu’il faut comprendre aussi de la volonté de regroupement des associations monoethniques, c’est l’aspect entraide qui confère un statut social important à ces acteurs. Dans l’imaginaire populaire africain, l’entraide constitue le ciment de la société même, d’une importance croissante en raison de la tendance actuelle à l’individualisme suscité par la crise économique, à la mondialisation de certaines valeurs européennes et à bien d’autres facteurs.
Sous un autre angle, au fur et à mesure que l’individu sort de son entourage immédiat pour être en contact avec les autres membres de la société, il se développe une « socialisation nationale ». En clair, la société d’accueil intègre l’individu. Du coup, certaines personnes qui acquièrent ainsi les normes et les valeurs de leur nouvelle société s’affranchissent des cordons ombilicaux et jugent moins nécessaire leur appartenance aux associations de leur propre communauté.
La question de l’adhésion aux valeurs communes québécoises fait que la personne immigrante est partagée entre les deux solitudes : le multiculturalisme canadien et l’interculturalisme québécois. Si les personnes immigrantes ne comprennent pas la logique de la dualité Québec-Canada, elles risquent tout le temps de se trouver dans des positions difficiles. Le fait d’être partagé entre deux cultures, et même plusieurs cultures, complexifie la situation de l’immigrant par rapport à la société d’accueil.
C’est la raison pour laquelle une société doit, pour éviter de sombrer dans l’anarchie, s’appuyer sur des règles et repères pour fonctionner harmonieusement. Nous sommes persuadé que le Canada en viendra à parler d’interculturalisme. L’ajout en janvier 2007 du terme « identité canadienne » au Secrétariat d’État au multiculturalisme et identité canadienne est à notre avis édifiant. Stephen Harper, premier ministre du Canada, par le biais du Secrétariat d’État au multiculturalisme et identité canadienne (2007) dirigé par Jason Kenney, cherchait à donner une nouvelle vision à la politique canadienne du multiculturalisme. Le multiculturalisme, une folklorisation des cultures qui s’appuie sur une mosaïque de cultures, perd du terrain de plus en plus, et ce, au niveau mondial.
Dans son article intitulé « Rejeter le manichéisme du multiculturalisme! » publié dans le journal Le Jumelé, l’historien et professeur à l’Université du Québec à Montréal (TÉLUQ), Éric Bédard, disait à juste titre que : « Les nouveaux arrivants doivent aussi réaliser que le multiculturalisme, loin d’être la noble philosophie d’ouverture que l’on croit, a été une politique mise en œuvre par le Parti libéral du Canada en vue de fidéliser un électorat », souvent aux dépens du Québec.
Or, l’image d’un Québec intolérant est injuste et arbitraire. Le Québec doit se montrer, certes, plus ouvert à l’égard des personnes immigrantes, mais on ne peut pas conclure pour autant que cette société soit raciste. La nuance devrait être soulignée entre le fait qu’il y ait du racisme et qu’une société soit raciste.
L’approche canadienne du multiculturalisme juxtapose les cultures des différentes communautés culturelles. La personne qui immigre a tout à gagner en optant pour une rencontre entre les cultures et non pour une juxtaposition de cultures.
La concentration des personnes immigrantes dans un quartier a toujours été un sujet qui permet de mesurer leur degré d’intégration selon l’idéologie de la personne qui émet un jugement, une critique ou une analyse.
En général, on sait que les personnes immigrantes s’installent au début dans des quartiers où les loyers sont moins chers et dotés de services de proximité, incluant l’accessibilité au transport en commun et aux centres commerciaux, et où vivent aussi certains de leurs compatriotes. Mais, pour ce qui est du prix des loyers, ce n’est pas le cas à Côte-des-Neiges. Par contre, nous pensons qu’il y a une facilité plus grande à obtenir des logements parce que les propriétaires des maisons sont familiarisés avec cette clientèle. C’est d’ailleurs pourquoi il faut de ce fait aussi demander, si on veut éviter le phénomène de la ghettoïsation, une certaine ouverture des autres propriétaires afin de favoriser la mixité sociale. On peut ensuite s’affranchir de cet aspect en quittant l’endroit dès la deuxième ou troisième année quand on a développé davantage de contacts. Un autre aspect à souligner est le fait que bien des personnes immigrantes se sont fait demander, mais de façon indirecte, des références de la part de la population d’accueil.
La politique du multiculturalisme favorise le développement des communautés en référence aux valeurs de la société d’origine. Rachad Antonius, coauteur du livre Immigration, diversité et sécurité : les associations arabo-musulmanes face à l’État au Canada et au Québec, analysait dans le cadre de la conférence citée ci-haut la différence du fédéral et du Québec en distinguant « le Canada, logique de l’Empire » et « le Québec, logique de la République ».
Est-ce que la critique du multiculturalisme est synonyme de racisme et constitue une manifestation xénophobe? Notre réponse est non. Imaginez un stationnement où les automobilistes se garent comme bon leur semble, on assistera inévitablement à des carambolages. Pour fonctionner, une société a besoin de repères qui en constituent le ciment. Ce sont des valeurs non figées, et qui évoluent en fonction des apports constructifs des communautés, qui continuent à enrichir le Québec. On ne demandera pas à la société d’intégrer les valeurs de toutes les communautés culturelles présentes sur son territoire. Tout comme on ne demandera pas à la société de rejeter des apports positifs d’autres cultures.
Il faut favoriser une meilleure mixité sociale au plan de l’intégration des personnes immigrantes. À Côte-des-Neiges, principalement, on retrouve les mêmes communautés dans certains immeubles, d’où une certaine ghettoïsation. Le communautarisme rompt tout dialogue avec autrui. Faut-il plus miser sur les valeurs communes que sur les différences ou miser sur les valeurs communes tout en laissant une place relativement restreinte à certaines différences? En tout état de cause, il faut éviter les extrêmes des deux côtés.
Un élément d’analyse qui cerne très bien la question du modèle d’intégration québécoise est la réaction en commission parlementaire de Pierre Boisvert, conseiller municipal et président du comité des relations interculturelles et de la diversité de la ville de Sherbrooke, en réponse à la question complexe de M. Léandre Dion, le député péquiste de Saint-Hyacinthe de l’époque, dans le cadre de la consultation parlementaire, à savoir s’il y avait « une contradiction » entre la promotion de la diversité « avec le danger d’un confinement éventuel et d’une ghettoïsation » et la volonté de « travailler à consolider l’identification à la société québécoise »: « Oui puis non. On nous a dit que la communauté québécoise, en tout cas c’est comme ça que c’est perçu à Sherbrooke, on voulait intégrer et non pas assimiler. Donc, si vous voulez assimiler, bien tout le monde doit ressembler au modèle québécois; si vous voulez intégrer, bien chacun met de l’eau dans son vin. » Nous partageons sans nul doute cette vision. Nous sommes contre l’assimilation et préférons le terme d’interculturalisme à celui de multiculturalisme. Loin de privilégier la prison de la ghettoïsation, notre valeur ajoutée se mesure dans la question de la défense de la langue française, dans la question du respect des personnes âgées, dans la question de la justice sociale, dans la question de l’ouverture au monde, dans la question de l’importance du communautaire, etc.
L’interculturalisme permet de s’approprier des éléments positifs de la société d’accueil tout en apportant des aspects positifs de sa culture d’origine.
Des programmes de sensibilisation sur l’histoire, les us et coutumes des Québécois constituent une nécessité pour la compréhension mutuelle entre les Québécois d’ascendance canadienne et les néo-Québécois. Des sujets relatifs à l’environnement sociopolitique du Québec qui mettent l’accent sur le contrat moral et la Charte québécoise des droits et libertés, la géographie, l’histoire et la culture du Québec, le système politique canadien et le système politique québécois, la primauté de la langue française au Québec, les valeurs et les fondements de la société québécoise peuvent renforcer le sentiment d’appartenance de ceux et celles qui font partie intégrante de l’avenir du Québec.
Des programmes de rapprochement interculturel permettent à un néo-Québécois de faire la connaissance des membres de la société d’accueil. La complexité des relations humaines nécessite des outils de communication efficaces comme celui du programme de rapprochement interculturel pour développer des relations intercommunautaires pacifiées. La réciprocité entre les échanges communicationnels permet de s’ouvrir sur la culture de l’autre pour mieux la comprendre.
Ce texte est extrait du livre « Intégration professionnelle des personnes immigrantes et identité québécoise : une réflexion sociologique » qui paraîtra à l’automne 2013. L’auteur est sociologue-blogueur, conférencier et conseiller en emploi.
Laisser un commentaire Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.