Devant le refus du Collège des médecins du Québec (CMQ) d’intégrer des médecins étrangers, il serait intéressant d’entendre d’autres voix autorisées pour nous éclairer sur le labyrinthe que représente le système médical. Une autre lecture du problème des médecins diplômés à l’étranger (MDE) permet de sortir des sentiers battus et de relativiser les arguments du CMQ et des facultés de médecine. Qui peut mieux faire que le Dr Victor Charles Goldbloom qui connaît très bien le système.
Une lecture exhaustive de la réalité du système médical qui va à l’encontre du discours ambiant du CMQ et des facultés de médecine
Dr Victor C. Goldbloom connaît le problème des médecins étrangers du bout des doigts. Le président du comité sur l’Association médicale de la province de Québec et à l’Association médicale canadienne et vice-président du Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec de 1962 à 1966 affirmait avec pertinence ceci : « Je suis médecin, je suis un ancien gouverneur du Collège des médecins du Québec, alors je connais le problème des deux côtés de la table. Et il y a eu un peu de progrès, mais le progrès a été surtout une meilleure information sur les exigences. Mais je dois procéder de façon anecdotique, je n’ai pas fait d’étude scientifique. Mais j’ai rencontré, il n’y a pas longtemps, un architecte avec 20 années d’expérience, et l’ordre professionnel lui a dit : Il vous faut quatre années d’études avant d’être reconnu ici; un médecin, un chirurgien qui a fait 1 000 remplacements de hanche dans son pays et qui est obligé de faire deux années d’études avant d’être accepté comme chirurgien ici [1]». Le professeur de pédiatrie, de sociologie et d’économie de la médecine à l’Université McGill de 1950 à 1970 poursuit en ces termes : « Je trouve que nous sommes sévères, indûment sévères dans cela. Je n’exagère qu’à peine en disant que c’est comme si nous disons aux Québécois et Québécoises : Vous êtes mieux de ne pas avoir un médecin que d’avoir un médecin qui à nos yeux n’est pas encore parfait. Je trouve que nous n’avons pas eu recours suffisamment au mentorat. Et je souligne que, lorsqu’on demande à un médecin qui vient d’un autre pays de faire, disons, deux années de résidence dans un hôpital, ce genre d’expérience n’est pas absolument pertinent aux soins des familles. Et nous savons qu’il y a énormément de familles québécoises qui cherchent désespérément à trouver un médecin de famille et sans succès ».
Dr Goldbloom répondait ainsi aux questions de Martin Lemay, ex-porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’immigration et de communautés culturelles du 25 avril 2007 au 5 novembre 2008 (Parti Québécois). M Lemay qui regrettait l’absence du Collège des médecins du Québec à la Commission parlementaire cernait très bien les problématiques délicates vécues par les médecins étrangers. « …Il y a trois étapes, j’oserais dire, de vie et de mort professionnelle pour ces gens-là [médecins étrangers] : ils passent la première ― on l’a vu dernièrement, d’ailleurs ― soit le Collège ou l’Ordre, et là ils sont refusés ou ils ne sont pas acceptés comme résidents ».
Poursuivant son raisonnement pertinent, il soulignait ceci : « … c’est des travaux d’Hercule qu’on leur exige, là, à ces gens-là [médecins étrangers], qui très souvent, encore une fois, M. le Président, [de la Commission de la culture à l’Assemblée nationale] ont pratiqué nombre d’années ».
Un programme de mentorat entre médecins formés à l’étranger et médecins en pratique au Québec serait un atout pour lever certaines barrières comme le suggérait Dr Goldbloom.
Le mentorat comme une des solutions à l’intégration difficile des MDE
Le consultant à l’Association canadienne des ergothérapeutes et à l’Association canadienne des physiothérapeutes et par ailleurs directeur général du fonds de la recherche en santé du Québec (15 janvier 1990) propose le mentorat pour faciliter une meilleure intégration des médecins diplômés à l’étranger : « Et c’est pour ça que j’ai mis l’accent sur le mentorat. Je pense que, si, sur une période de quelques mois, on affecte un nouveau venu à un médecin expérimenté qui va surveiller sa pratique quotidienne et qui devra recevoir une rémunération pour ce mentorat, mais je pense qu’on aura assez rapidement une appréciation de la qualité de cette personne. Et, plutôt que de dire automatiquement : Il faut que vous fassiez une année, deux années ou même plus de formation additionnelle, l’on devrait trouver moyen de mieux apprécier la compétence professionnelle des gens dans tous les domaines et les accueillir comme membres à part entière de notre société si nous les jugeons compétents ».
La pertinence des échanges entre le député du Parti Québécois et l’ancien parlementaire d’allégeance libérale a démontré que le contenu de la discussion laissait peu de place à la partisannerie. L’ex-porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’immigration et de communautés culturelles faisait ressortir des points importants à l’effet que les ordres et les facultés de médecine avaient « un droit de vie et de mort professionnelle » sur les médecins étrangers.
Dans ce même registre, Dr Amir Khadir de Québec Solidaire avait raison de dénoncer les « réflexes corporatistes » du Collège des médecins du Québec dans les colonnes du journal indépendant Le Devoir[2].
Un problème endémique
Malgré les outils facilitant la reconnaissance des acquis, peu de médecins diplômés hors Canada et États-Unis (DHCEU) ont vu leur situation s’améliorer. Certaines statistiques indiquent que 3000 médecins diplômés à l’étranger ne peuvent pas exercer dans la Belle Province (Source : Médecins d’Ailleurs, 2008).
Yves Bolduc, ministre de la Santé et des Services sociaux qui a des problèmes[3] avec, entre autres, les médecins spécialistes, les infirmières, les médecins résidents évoque rarement les difficultés des médecins étrangers contrairement à son prédécesseur Philippe Couillard qui même s’il se montrait impuissant intervenait plus sur cette question. Acculé de toutes parts, le ministre qui a été nommé le 25 juin 2008, avant même d’être élu député, par le premier ministre Charest pour régler le problème de l’attente dans les urgences fait de la problématique de l’intégration des médecins étrangers le parent pauvre de son ministère.
Pourtant, les régions manquent souvent de main-d’œuvre surtout dans le domaine de la médecine de famille. Dans un domaine où la pénurie est criante, celui de la médecine familiale, on refuse de donner la chance aux médecins étrangers qui avaient obtenu tous leurs prérequis. Les facultés de médecine et le Collège des médecins du Québec empêchent les professionnels immigrants de pratiquer leur métier.
Au Québec, la culture organisationnelle établit un système de mérite : les bonnes personnes à la bonne place. Pourquoi en serait-il autrement pour les médecins étrangers ? L’intégration des médecins étrangers doit être un combat pour faire avancer les lois progressistes de la société québécoise basées sur l’inclusion.
L’intégration difficile des médecins étrangers jette un discrédit sur la politique d’immigration québécoise. Elle entraîne des dommages collatéraux au niveau de l’image du recrutement, de la sélection et de l’intégration des immigrants. Au moment où la conclusion d’un récent rapport du Conference Board présente le Canada comme « un pays plus innovateur et plus compétitif grâce à l’immigration »[4], les immigrants établis sur le sol québécois ne demandent qu’à faire partie intégrante d’un Québec solidaire, inclusif et ouvert au monde.
[1] Journal des débats de la Commission de la culture, version finale, 38e législature, 1re session (8 mai 2007 au 5 novembre 2008), Le mardi 25 septembre 2007 – Vol. 40 N° 10. Consultation générale sur le document intitulé La planification de l’immigration au Québec pour la période 2008-2010. Audition: Congrès juif canadien, région du Québec (CJC-Québec) et Services d’assistance aux immigrants juifs (JIAS).
[2] Le Collège des médecins sera moins contraignant avec un groupe de professionnels étrangers, Louise-Maude Rioux-Soucy, Le Devoir, 17 octobre 2007.
[3] « Yves Bolduc: un ministre dans l’embarras », tel est le titre de l’article de Pascale Breton, La Presse, 15 août 2009
[4] Conference Board du Canada : Les immigrants, moteur de l’innovation, Radio-Canada, 15 oct. 2010.
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