Publié par : Doudou Sow | 13 septembre 2013

Division du mouvement féministe sur la question complexe du voile

imagesCAFXONCH feministeLe nombre de femmes musulmanes voilées dans les garderies et dans le domaine de la santé (notamment les infirmières) est très important. La question de l’intégration ou l’exclusion des femmes voilées dans le travail devient une problématique difficile à cerner ou à trancher par les différents mouvements féministes. Même si ces organisations féministes mènent un noble combat pour ne pas perdre certains acquis, la question du voile ou des signes religieux entraîne des différences de points de vue à l’intérieur de leurs revendications.

La question du port du voile par les employées de l’État québécois a créé des dissensions entre la Fédération des femmes du Québec et le Conseil du statut de la femme, un organisme paragouvernemental qui conseille le gouvernement québécois sur les questions liées aux femmes.

 
Le gouvernement libéral provincial de l’époque s’était rallié à la position de la Fédération des femmes du Québec qui exprime ni obligation ni interdiction au port du voile dans les services de la fonction publique. La Fédération des femmes du Québec avait entamé une réflexion à la suite des recommandations de la commission Bouchard-Taylor. Cette institution ne voulait pas de loi qui interdirait le port du voile afin de permettre aux femmes voilées de s’intégrer davantage.

Le Parti québécois s’était rallié à la position du Conseil du statut de la femme, « un organisme gouvernemental de consultation et d’études qui veille, depuis 1973, à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises » qui, en 2007, recommandait que « les représentants et les représentantes ou les fonctionnaires de l’État ne puissent arborer des signes religieux ostentatoires dans le cadre de leur travail . »
Le mouvement féministe québécois est divisé sur la question ″pour et contre″ le voile islamique dans les services publics.

Nous avons choisi d’analyser le discours de deux femmes : Louise Beaudoin et Françoise David, l’actuelle députée de Québec solidaire, tant on sait leur modération et leur désir d’intégrer les personnes immigrantes. De ce point de vue, leur crédibilité ne pourrait être remise en cause.

 
En posant le débat, on serait tenté de dire : est-ce une raison d’exclure davantage les femmes voilées en leur demandant de choisir le voile ou l’emploi? comme le disait, à juste titre, Françoise David lors de l’émission 24 heures en 60 minutes du 14 mai 2009, présentée par madame Anne-Marie Dussault. Quand est-ce et dans quel sens parle-t-on d’inclusion ou d’exclusion des femmes? Comment être féministe et accepter le voile?, tel était le cœur du débat posé par l’animatrice.

L’ancienne porte-parole de l’opposition officielle en matière de laïcité et de condition féminine, du 27 août 2010 au 6 juin 2011, Louise Beaudoin, disait aussi que c’est au nom de l’intégration qu’elle rejette le voile. Toutefois, certaines femmes, au nom de leurs convictions religieuses, peuvent décider de rester à la maison si on leur demande de choisir entre leur religion et le travail. Et dans ce cadre-là, le discours féministe reste coincé entre le marteau et l’enclume. Le courant féministe prône l’autonomie par le travail (indépendance) et le refus de rester à la maison par choix subi (marginalisation).

Louise Beaudoin dans une lettre parue dans La Presse intitulée « Le port du voile par les employés de l’État : les symboles jamais anodins », reprenait une idée défendue avec Marie Malavoy et Carole Poirier dans leur lettre publiée dans le Devoir ayant pour titre : « Non au nom de l’inclusion et de l’intégration ».

« ([….]) Nous croyons à la nécessaire intégration des femmes (comme des hommes) du Québec, quelles que soient leurs origines ou leurs croyances. Toutefois, nous ne pensons pas que cette intégration se fera en permettant, dans les services de l’État, des pratiques symboliques affirmant l’infériorité des femmes et leur soumission, mais plutôt en les accueillant personnellement dès leur arrivée, en leur permettant de se franciser le mieux et le plus rapidement possible. Et, enfin, en faisant en sorte que leurs diplômes et leurs acquis professionnels soient reconnus à leur juste valeur. »

Nous sommes d’avis que les féministes ne souhaitent pas que ces femmes voilées restent à la maison.
Dans certaines manifestations, on peut voir des femmes voilées qui portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait y lire : « Le voile mon choix ». Les femmes musulmanes voilées défendent ardemment le fait que le voile fasse partie de leur identité et qu’elles ne pourront pas s’en départir aussi facilement. Et l’entrevue de certaines femmes voilées accordée au Journal de Montréal, une journée après le dévoilement des intentions du gouvernement Marois sur les signes religieux ostensibles par le même journal, prouve qu’elles choisiront de rester à la maison au lieu d’enlever le voile : un dilemme cornélien pour les féministes québécoises.

Faut-il passer par la loi pour interdire le voile islamique et la croix? Certains diront que, même si le Québec est une société laïque, certains signes religieux font office de patrimoine culturel. D’autres acteurs ou actrices, à l’image de Louise Beauoin, diront aussi que les droits des femmes sont très fragiles et que l’intégration par le voile n’est pas une bonne option pour l’intégration des femmes musulmanes.

Mme Beaudoin a raison quand elle dit que le voile n’augmente pas les chances d’embauche des femmes immigrantes. En tant que conseiller en emploi, nous pensons profondément que les employeurs utilisent parfois la question de sécurité comme prétexte pour justifier leur refus d’embaucher les femmes voilées. En réalité, leur jugement est parfois sous-tendu à une question de valeurs en contradiction avec l’image véhiculée par le port de ce symbole religieux qui motive leur refus systématique d’embaucher des femmes musulmanes voilées. Les employeurs pensent souvent aussi aux éventuelles difficultés relationnelles avec les collègues de travail et à l’adaptation culturelle dans le milieu de travail : une question complexe.

Ce serait hypocrite de dire que les employeurs développeront une ouverture et une tolérance vis à vis de ces femmes voilées. Les conseillers en emploi rencontrent des femmes voilées compétentes et bilingues sur papier qui, une fois en entrevue, peinent à trouver un emploi.

 
Farida Hamiroune, une femme immigrante voilée d’origine algérienne, a fait une lecture réaliste du port du voile qui dérange et déstabilise l’écrasante majorité des recruteurs québécois. En entrevue avec le journal La Tribune laurentienne de la diversité, l’informaticienne de formation, qui a également travaillé dans le domaine de l’administration, racontait les multiples obstacles auxquels elle était confrontée dans ses nombreuses démarches de recherche d’emploi au Québec. Avec un bon CV et une bonne attitude professionnelle comme elle décrivait elle-même au journaliste, Tanohé Ludovic N’doly, elle était amenée à tirer une conclusion selon laquelle le port du voile était un frein dans l’intégration en emploi au Québec.

« J’ai donc déduit après plusieurs rencontres avec des recruteurs que le fait de porter le voile y est pour quelque chose. J’en suis convaincue du fait que lors des conversations téléphoniques avec les employeurs, je suis tout de suite invitée à me présenter pour une interview, mais une fois en face de l’employeur, la réaction de surprise et le regard de mon interlocuteur ne passent pas inaperçus . »

Son analyse reflète la réalité de l’intégration des femmes voilées sur le marché du travail québécois. Elle renchérit :

« ([…]) mes déboires dans la recherche de l’emploi au Québec sont largement influencés par le fait que je porte le voile. Il m’arrive même parfois de réaliser que ma présence déstabilise les recruteurs lors des entrevues. Des gens qui ne sont pas préparés à avoir en face une personne voilée . »

À la question du journaliste « Est-ce que le contact avec les autres participants [du projet?] a contribué à changer un tant soit peu [son] jugement sur la société québécoise en matière d’emploi? », elle répond de manière explicite :
« Je ne crois pas parce qu’étant ici j’ai été faire deux entrevues dont une dans un hôpital psychiatrique. J’étais la seule personne voilée parmi les 37 candidats présents. On nous a proposé de faire un tour des lieux afin de comprendre un peu mieux ce que l’on attendait de nous. Mais avant, il a été demandé à tous ceux qui portaient des foulards ou une cravate de les retirer. Le message était clair, ce sont les règles de l’hôpital du fait qu’un accident est vite arrivé. Je n’ai pas été retenue et j’ai pu le comprendre.

« J’ai ensuite obtenu un rendez-vous dans une clinique sur recommandation de ma coordonnatrice. L’entrevue téléphonique s’est bien déroulée. Puis j’ai été convoquée pour une rencontre à l’entreprise. Mais dès le premier contact, j’ai eu cette impression qu’on ne voulait plus me recevoir… J’ai vu la gêne dans le comportement de la réceptionniste qui a dû me faire attendre longtemps avant que ma véritable interlocutrice me reçoive. Et comme si ma lecture de la situation se confirmait, la dame tenait mon CV entre les mains et tout de suite elle dit : ″en vérité ce n’est pas ce qu’on recherche″. Après quelques échanges, elle s’est mise à poser de nombreuses questions, insistant parfois sur certaines au point que je me suis dit qu’elle cherchait à me déstabiliser… Ayant déjà connu ce genre de situation, je suis restée très professionnelle dans la mesure où le poste en question était celui de réceptionniste. En sortant de là, bien qu’elle m’ait demandé si j’étais disponible pour travailler immédiatement, je n’avais aucun doute qu’elle ne me donnerait même pas de suite… Et c’est en effet ce qui est arrivé. Aujourd’hui, je n’ose même plus faire de suivi après les entrevues parce que j’ai le sentiment de connaître déjà la réponse . »

À la lumière de ce témoignage de Madame Hamiroune sur son parcours et les barrières, l’on se rend compte des difficultés des femmes musulmanes voilées à accéder au marché du travail. En réalité, le port du voile constitue une barrière supplémentaire des femmes immigrantes dans l’obtention d’un emploi (alimentaire et domaine de compétences) au Québec.

Les personnes immigrantes qui le font par choix personnel ou soumission doivent se préparer psychologiquement à affronter de nombreux obstacles dans la société québécoise. En réalité, personne ne peut les obliger à enlever le voile, mais il faut qu’elles s’attendent à ce que leur choix entraîne des conséquences dans une société qui a décidé de s’affranchir de la religion et de tous les symboles ostentatoires : voilà la réalité dans un contexte québécois.

Même si, en entrevue, la loi interdit à des employeurs de poser des questions touchant la religion, nous savons pertinemment qu’ils trouveront toujours un moyen de les formuler autrement, par des voies détournées. Nous conseillions souvent à nos candidates voilées de saisir la perche qui leur était tendue sur ces questions afin de démontrer l’importance de leurs aptitudes professionnelles, relationnelles, leur capacité d’adaptation et d’intégration plutôt que l’apparence du voile.

Si on décide d’embaucher des personnes en fonction de leur habillement, que fera-t-on alors des infirmières musulmanes qui portent le voile dans la fonction publique? Doit-on juste se fier sur les compétences?

Doit-on aussi hypothéquer l’avenir professionnel des femmes qui sont en train de suivre une formation dans les universités, collèges, et qui aspirent à prendre des responsabilités? En laissant les femmes voilées à la maison, la société québécoise les isole–t-elle davantage? Des questions qui seront difficiles à trancher.

Cliquer pour accéder à avis-preliminaire-charte-des-valeurs-quebecoises-doudou-sow-8-septembre-2013.pdf


Réponses

  1. Si je veux travailler chez McDo, chez Air Canada ou au Ritz Carlton, je devrai porter l ‘uniforme, le badge, ou la casquette. Plusieurs enterprises refusent d’engager des personnes portant des tatouages visibles. Que les employés d’un État laïque doivent se soumettre à un code vestimentaire le reflétant ne m’apparaît pas déraisonnable.


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